#LeTempsAVélo

Durant six semaines, plusieurs équipes de journalistes du Temps et d’Heidi.news se relaient pour parcourir la Suisse à vélo et raconter ses transformations. Suivez leur odyssée grâce à notre carte interactive et retrouvez leurs articles écrits au fil du chemin.

Pete Mijnssen rit. Si le rédacteur en chef du magazine Velojournal édité avec l’association Pro Velo s’esclaffe soudainement sous nos yeux, c’est parce qu’on vient de lui demander si Zurich était une ville accueillante pour les cyclistes. En réalité, l’homme rit jaune et sa réponse est claire: «Non!»

Il nous a donné rendez-vous en milieu d’après-midi sur un bras de terre au milieu de la Sihl. Evidemment, il arrive à vélo. Il commande un café sans sucre et fait rapidement part de son amertume: «A Zurich, le problème, c’est le légalisme», commence-t-il.

Depuis 1993, quand il a créé le périodique tiré aujourd’hui à 22 000 exemplaires, ce cycliste à la vie comme à la ville n’a pas cessé de se battre pour offrir à la petite reine une place décente dans les rues de sa métropole. «On a eu beaucoup de belles idées, se souvient-il. Ça a demandé beaucoup d’énergie. Aujourd’hui, nous attendons des résultats concrets.»

Des promesses

L’homme passe en revue la série d’initiatives communales destinées à réclamer davantage de mobilité douce dans la ville la plus peuplée de Suisse. Il évoque le Masterplan Velo, un programme d’encouragement pensé en 2012 par la municipalité, dont l’objectif est de doubler le nombre de trajets effectués à vélo d’ici à 2025. Il pense à la promesse faite par ces mêmes autorités en 2016 de créer des pistes cyclables rapides larges de près de 5 mètres sur lesquelles les cyclistes auraient la priorité. Il relève qu’en septembre dernier la population a de surcroît clairement approuvé une initiative appelant la ville à créer 50 kilomètres de «routes pour vélo» sur lesquelles, sauf exception, les voitures n’auraient pas l’autorisation de rouler.

Et bien sûr, il aborde l’initiative vélo acceptée en 2018 par tous les cantons et 73,6% de la population suisse qui vise à inscrire les pistes cyclables dans la Constitution. A ses yeux, il n’y a aucun doute: «Le peuple aspire à plus d’infrastructures pour les vélos. Les autorités doivent donc agir. Mais tout est compliqué.»

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Casse-tête urbain

Quelques heures plus tôt, dans les bureaux de Pro Velo, Andrea Freiermuth, responsable de la communication de l’association, pointait justement du doigt des articles de loi qui paralysent la majeure partie de ses actions. Le Parkplatzkompromiss ou compromis des parkings, voté en 1996 par le conseil municipal zurichois, figure parmi ses exemples. Dans l’idée de rendre le centre-ville plus attractif pour les piétons, il vise à déplacer les places de stationnement de surface vers les parkings souterrains. «Il impose toutefois que, sur la base d’un recensement de 1990, le nombre total de places ne soit pas affecté», précise la cycliste.

En 2017, l’inscription à la Constitution cantonale zurichoise de l’article baptisé «anti-embouteillage» met, lui-aussi, des bâtons dans les roues des militants pro-vélo. Il impose pour sa part de systématiquement devoir trouver un moyen de compenser une réduction de trafic instaurée sur une route nationale. «A Zurich, où les routes cantonales et communales s’entremêlent, réduire le trafic de l’une d’entre elles au profit d’une piste cyclable est par conséquent un véritable casse-tête», relève Andrea Freiermuth. Pour l’activiste, la ville étouffe sous le lobby de la voiture.

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A contre-sens du bon sens

Pourtant, la petite reine a gagné en popularité ces dernières années. Les porte-parole de Pro Velo ont vu au fil des décennies leur communauté s’élargir à tous les âges et toutes les classes sociales. L’inauguration en 1998 des itinéraires nationaux cyclables SuisseMobile a, à leurs yeux, permis à la population de réaliser que le vélo n’était pas qu’un phénomène. L’emballement pour le vélo électrique a aussi donné un nouveau souffle à la promotion des pistes cyclables. Mais selon la NZZ, cela a aussi contribué à multiplier par deux, depuis 2012, le nombre d’accidents impliquant des cyclistes dans les rues de Zurich. «Les infrastructures ne suivent pas, constate Andrea Freiermuth. Il est urgent d’améliorer cette situation.»

En selle du matin au soir, Tobias Schär, codirecteur de Veloblitz, l’entreprise de coursiers à vélo née en 1989, partage les mêmes observations. Il témoigne par ailleurs d’une atmosphère tendue sur les routes de sa cité et pointe du doigt des comportements inadéquats de nouveaux usagers. «Les cyclistes sont plus nombreux, mais beaucoup roulent mal, affirme-t-il. Certains croient que le fait d’être à vélo permet de transcender les règles. Rouler à vélo électrique sur les trottoirs, par exemple, est un non-sens. Tout comme utiliser un appareil qui monte à 45 km/h en pleine ville, d’ailleurs. Cela ne favorise pas la cause des cyclistes en ville.»

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Plus de radicalité

Les administrations zurichoises sont sous pression. «Les politiciens ne veulent pas se mouiller, le conseil municipal n’en fait pas assez. En règle générale, on manque de courage, fulmine Pete Mijnssen. Ces dernières années, nous avons été trop gentils dans l’espoir que nous allions ainsi obtenir des résultats. Je pense désormais qu’il faut être plus radical.» Le rédacteur en chef du Velojournal prône-t-il par conséquent la désobéissance civile? «J’y songe sérieusement», admet-il.

La demi-mesure ne convient plus à ce père de famille. Il salue la mise en place de pistes cyclables temporaires «pop-up», dont notamment les cyclistes du canton de Vaud ont bénéficié pendant le confinement. Quant à l’avenir de sa ville, il ne voit désormais plus qu’une seule solution. «La population ne va pas cesser d’augmenter dans les prochaines années. Pour conserver un environnement sain et vivable, il faut fermer le centre-ville à la circulation automobile. Ramener les vélos en ville ne fonctionnera que si on remplace les voitures.»

Il se lève. Il doit nous laisser. Une manifestation de cyclistes réclamant plus de place et de sécurité sur les routes zurichoises débute. En mai, lors d’une critical mass, ils étaient plusieurs milliers à battre le bitume de la cité.

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