Heidi Z’graggen, l’étoile montante du PDC
Conseil fédéral
La doyenne du Conseil d’Etat uranais fait jusqu’ici un parcours sans faute dans la course à la succession de Doris Leuthard. Elle incarne la mue d’un canton qui a dû se réinventer ces dernières décennies

En ce radieux mardi 20 novembre, ce devait être une banale rencontre, prévue depuis des mois, entre le Conseil d’Etat uranais et les journalistes locaux. Actualité oblige, ce «café des médias» s’est transformé en véritable rampe de lancement de la candidature de Heidi Z’graggen au Conseil fédéral. Dans ce petit canton de 36 000 habitants où le premier pouvoir tutoie allégrement le quatrième, l’on a serré les rangs derrière l’étoile montante du PDC, celle que personne n’attendait. Car le moment est historique: jamais Uri n’a compté de conseiller fédéral.
Vendredi dernier, le groupe parlementaire du PDC a créé la surprise en nommant cette conseillère d’Etat de 52 ans sur un ticket entièrement féminin en compagnie de Viola Amherd, la favorite. Une décision habile: d’une part, elle a fait taire d’un coup toutes les rumeurs quant à une candidature hors ticket réclamée par quelques élus de l’UDC. D’autre part, elle a fait émerger une personnalité dynamique qui apporte un vent de fraîcheur au PDC.
Lire notre éditorial: Misons un vreneli sur Heidi Z'graggen
Entre ouverture et repli sur soi, le dilemme d’un canton
L’intéressée, elle, était surprise qu’on soit surpris. Lorsqu’elle se fixe un objectif, c’est pour l’atteindre, comme un alpiniste au pied de la montagne. Ayant grandi à Silenen, au pied du Bristenstock, Heidi Z’graggen multiplie les métaphores alpines dans ses discours. «Je suis prête pour l’ascension vers le sommet», a-t-elle déclaré.
Naître Uranais, c’est se confronter à cette éternelle dualité entre l’ouverture et le repli sur soi dans ce canton de transit traversé par l’autoroute et le tunnel ferroviaire du Gothard. «Je suis davantage dans l’ouverture», assure la candidate. Mieux que quiconque, la doyenne du Conseil d’Etat – elle y siège depuis quatorze ans – incarne la mue douloureuse d’un canton qui a dû totalement se réinventer ces trente dernières années.
Longtemps, Uri n’a connu que deux gros employeurs: l’entreprise Dätwyler – active dans la production de câbles – et la Confédération, notamment les CFF et l’armée, présente avec une place d’armes, une fabrique de munitions et un arsenal. Mais dans les années 1980 et 1990, militaires et cheminots désertent le canton, provoquant une crise économique et la perte d’environ 2000 emplois.
Le projet pharaonique d’Andermatt
C’est alors que surgit un sauveur inattendu: le milliardaire égyptien Samih Sawiris, qui est séduit par les lieux et l’accueil favorable de la population. Celui-ci voit l’avenir en grand: un village de vacances de 500 appartements répartis dans 42 immeubles, 28 chalets, ainsi qu’un golf de 18 trous. Sans parler de six hôtels dont deux sont désormais en service dans le secteur haut de gamme. «Nous avons déjà investi 1 milliard de francs dans ce projet qui ne s’achèvera que dans quinze à vingt ans», confie Franz-Xaver Simmen, le CEO de la société Andermatt Swiss Alps, qui a créé 500 emplois dans la région. «Uri est devenu un vrai canton touristique, ce qui n’était pas le cas auparavant.»
C’est à travers ce projet pharaonique, qui risquait fort de buter sur l’opposition des écologistes, que se révèle la méthode Z’graggen. A la tête du Département de la justice, dans lequel est intégré l’aménagement du territoire, elle crée un «conclave» regroupant tous les acteurs du dossier, y compris les milieux de l’environnement. Et le miracle se produit. Le projet se réalise sans retard dû à des oppositions.
«Heidi Z’graggen est très attentive à la protection de la nature», relève Christoph Schillig (les Verts), qui vient de présider le Grand Conseil. «Ce projet était nécessaire sur le plan économique et il a permis à notre canton de passer d’un tourisme de passage à un tourisme plus sédentaire, ce qui est positif. Mais il existe toujours des risques que ce projet mette la nature sous pression», craint-il.
«Tenace, mais pas bornée»
Depuis cette année, la candidate uranaise préside la Commission fédérale pour la protection de la nature. A ce titre aussi, elle se dit «satisfaite» du projet d’Andermatt Swiss Alps, «grâce à l’ouverture qu’a manifestée l’investisseur à ces questions». «Malgré le bémol de la hausse des loyers, Uri y a gagné en recettes fiscales et en postes de travail. Surtout, la confiance dans l’avenir est revenue», souligne la conseillère d’Etat. On peut le comprendre: même s’il ne compte que 14 000 emplois, son taux de chômage s’élève à 0,7%. Record de Suisse en matière de plein emploi!
Avec Heidi Z’graggen, le canton d’Uri a désormais de bonnes chances d’être enfin représenté au Conseil fédéral. Dans un passé récent, seul Franz Steinegger aurait pu y parvenir, mais l’ancien président du PLR a par deux fois échoué au niveau du groupe déjà. Lui et sa femme Ruth Wipfli Steinegger croient aux chances de la conseillère d’Etat: tout en se faisant l’apôtre de la concordance qui sait «faire mûrir des solutions», la ministre de la Justice ne perd jamais de vue le but à atteindre. On la dit «tenace, mais pas bornée». Et comme tout Uranais, elle a un côté «rebelle». Normal, quand on travaille à 50 mètres du monument de Guillaume Tell à Altdorf!