Mario Fehr a le don de faire parler de lui. Depuis que le conseiller d’Etat zurichois socialiste, 57 ans, s’est déclaré favorable à une interdiction de la burqa dans une interview à la NZZ au milieu de l’été, la question s’est transformée en débat aux proportions inattendues. Tandis que son nom s’étale dans les médias, lui se fait discret.

Le ministre refuse de se prêter au portrait, «par principe»: il préfère que l’on s’intéresse à ses actes plutôt qu’à sa personne, explique en substance son Département. Mario Fehr, président de l’exécutif, ministre de la sécurité à Zurich, est responsable de la police, de l’asile, de l’aide sociale et du sport. A ses yeux, le voile intégral était un sujet «secondaire», note son porte-parole, laissant entendre que l’élu ne s’attendait pas à une telle déferlante de commentaires.

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A contre-courant

Son entourage donne une tout autre image du ministre. Mario Fehr, dit-on, est une bête politique, doublé d’un perfectionniste. Le politicien est bien trop malin pour laisser une petite phrase tomber au hasard. Si l’ampleur des réactions, exacerbées par la polémique autour du burkini en France, l’a surpris, il était conscient de toucher un point sensible. «Il possède un instinct politique et une conscience aiguë de ce que pense la population. Et il sait quels sont les thèmes qui montent», souligne le président du parti socialiste zurichois Daniel Frei. Ses détracteurs, eux, crient au «populisme» et à l'«opportunisme».

Mario Fehr se doutait sans doute qu’il s’attirerait les foudres d’une partie de ses camarades. Il en a l’habitude: la burqa n’est que la dernière d’une série de prises de position à contre-courant, qui lui valent, à chaque fois, d’être vilipendé dans sa propre famille politique. Lui-même se décrit comme un «social libéral» et tance son parti qu’il juge, dans une interview au magazine Schweizer Illustrierte «trop étroit, trop dogmatique».

L’achat d’un logiciel espion

C’était en 2015. Quelques mois plus tôt, Mario Fehr était au bord de la rupture avec le PS, suite à une plainte pénale déposée contre lui par les Jeunes socialistes zurichois. Le ministre avait réagi avec fracas, en suspendant son appartenance au parti et en boudant les séances de groupe. A l’origine du conflit: l’achat, avec son accord, d’un logiciel espion par la police cantonale zurichoise, permettant d’infiltrer un ordinateur ou un téléphone à l’insu de son propriétaire. Le ministre avait attendu d’être blanchi par un rapport du parlement zurichois avant de déclarer qu’il comptait bien «poursuivre dans cette direction».

Le directeur de la sécurité, qui a suivi un cursus universitaire en droit prend son rôle à cœur. Dans la presse, Mario Fehr loue le travail de la police zurichoise, «la plus moderne de Suisse», qui a vu ses effectifs grossir sous sa direction. Son profil Smartvote révèle son penchant pour l’ordre et la loi.

Renvoi d’une famille tchétchène

Son inflexibilité, dans le cas du renvoi d’une famille tchétchène de quatre enfants installée en Suisse depuis près de cinq ans, lui avait valu une autre volée de critiques. Malgré les recours, les protestations d’un groupe de villageois, la résistance de la famille qui s’était réfugiée dans une église de la commune, les autorités, sous l’égide de Mario Fehr, avaient appliqué la procédure à la lettre. L’affaire avait provoqué l’émoi, à Zurich, et la colère au-delà des frontières cantonales: la conseillère nationaliste vaudoise Cesla Amarelle avait jugé ce traitement «indigne» d’un socialiste.

Mais c’est de l’aile la plus jeune et la plus à gauche de son parti, qu’il s’attire les critiques les plus acerbes: «Mario Fehr a perdu le respect de ceux qui ont mené campagne pour le faire élire. Et, du point de vue stratégique, c’est une erreur: nous risquons de perdre des voix au sein de notre électorat de base», s’emporte Lewin Lempert, co-président des jeunes socialistes zurichois.

Encensé par les autres partis

Pourtant, ce qui est mauvais pour son parti s’avère plutôt bénéfique pour le ministre. L’homme d’Adliswil, qui fut conseiller national entre 1999 et 2011, est populaire, au-delà de l’électorat de gauche. Grand, sec, nerveux, il donne, au premier abord, une impression de rigidité. Mais il parviendrait, dit-on, à captiver son public dès qu’il prend la parole. L’élu ne rate jamais une occasion de donner une interview à la télé locale, ni un match du FC Zurich. Résultat: lors de sa première élection au gouvernement cantonal, en 2011, il était celui qui avait obtenu le plus de voix. En 2015, il a récolté le deuxième meilleur score.

Dans le camp adverse, le ministre de la sécurité reçoit des louanges, jusqu’à l’autre bout de l’échiquier politique. Il a la réputation de maîtriser ses dossiers et de faire du bon travail. «Il s’engage en faveur de la police, il est collégial, il sait mener une politique bourgeoise lorsqu’il le faut», souligne le chef du groupe UDC au parlement zurichois, Jürg Trachsel. Même son de cloche du côté des Verts libéraux: «Mario Fehr est un pragmatique, pas un idéologue. Il est à l’écoute et il s’engage», souligne Benno Scherrer, président du groupe au parlement.

Un point faible

Le ministre a pourtant un talon d’Achille de notoriété publique: sa susceptibilité. «Il a une conscience extrême de l’opinion publique», souligne Daniel Frei. «Il ne supporte pas la critique», affirment les journalistes. «Il aime jouer à la diva», balance un député zurichois. Voilà qui expliquerait pourquoi, en pleine tempête médiatique, il se tient à l’écart. Prêt à revenir dans l’arène.