L’image de la foule paraît dater d’avant la crise sanitaire mondiale. Des centaines de visages côte à côte, exhibant fièrement un nez, une bouche. Par défi, le masque est porté sur le front. Ou sur le bras. En chœur, ces bouches s’unissent dans une clameur persistante, en réponse à la harangue de l’orateur: «La police veut nous obliger à porter un masque!»

A Zurich, ils ont été plus d’un millier de Corona-Skeptiker (corona-sceptiques) à s’être rassemblés ce samedi lors d’une manifestation autorisée pour exiger la levée des mesures imposées pour endiguer la pandémie. Très peu s’en sont tenus à l’obligation du port du masque et au respect des gestes barrières.

Une foule bigarrée

«Le masque est une muselière. D’un point de vue symbolique, c’est une façon de dire aux gens: fermez vos gueules», dénonce un Lausannois. Jeunes familles, retraités, anti-vaccins, anti-5G, les manifestants affichaient un profil polymorphe aux contours difficilement saisissables. A minima, ils étaient mus par un même scepticisme envers les autorités politiques. «C’est un coup d’Etat du Conseil fédéral contre notre démocratie suisse. Nos autorités ont été achetées par Bill Gates et les organisations mondiales comme l’OMS, la Banque mondiale ou le FMI», affirme François de Siebenthal, l’un des instigateurs du référendum contre l’application SwissCovid. Théorie du complot? Pas pour lui, il récuse le terme. De même qu’une grande partie des Romands venus exprimer leur ras-le-bol à Zurich.

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Forte mobilisation romande

Alors qu’au printemps les mouvements de résistance étaient encore principalement l’apanage des Alémaniques, les francophones ont été nombreux ce week-end à rallier le cœur de la capitale économique pour protester contre ce qu’ils considèrent comme une «fausse pandémie», qui génère selon eux un climat anxiogène. Pour beaucoup, le déplacement s’est fait en car afin d’éviter les transports publics. Et donc les masques. «Un masque, ça ne sert qu’à affaiblir notre système immunitaire. Moi, je respire», sourit une Genevoise. Comme elle, de nombreux manifestants sont persuadés que cette «muselière» n’est qu’un instrument préliminaire des gouvernements pour condamner ensuite la population à une vaccination obligatoire. Faisant flotter son drapeau genevois haut dans le ciel, Dino Rossato déplore quant à lui le manque de cohérence dans les mesures sanitaires décrétées par le Conseil fédéral. «Au départ, on nous a dit que le port du masque ne servait pas à nous protéger efficacement du virus. Et puis on nous l’a recommandé, avant de le rendre obligatoire. C’est ubuesque», s’indigne le Genevois.

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L’écho d’une tendance mondiale

Appelant à «un retour à la liberté», le mouvement de protestation a été lancé par plusieurs organisations qui ont pour beaucoup fleuri durant le semi-confinement. Parmi elles, on trouve le Bürgerforum, groupement alémanique fondé par une figure controversée de la scène politique zurichoise, Daniel Regli. Cet ancien député UDC est également président de l’association Marche pour la vie, qui lutte contre l’avortement. S’il reste l’expression d’une opinion minoritaire, ce rassemblement se fait néanmoins l’écho d’îlots de résistance qui prennent de l’ampleur au niveau mondial. Ce week-end, les opposants au port du masque ont appelé plusieurs villes européennes à descendre dans la rue.

A Berlin, la manifestation a finalement été autorisée, après avoir dans un premier temps été interdite. Selon les estimations de la police, un cortège de 20 000 personnes a pris possession de la capitale allemande, avant d’être rapidement dissous par les forces de l’ordre (print: voir ci-dessous).

Un analyste: «Rappelez-vous les années du sida»

Que cette pandémie soulève une telle perte de confiance envers les autorités ne surprend pas Daniel Kübler. Ce politologue de l’Université de Zurich rappelle que «lors de la prévention du sida dans les années 1980, les réactions ont été tout aussi virulentes et de nombreuses théories conspirationnistes ont également circulé à propos du VIH». Pour lui, la méfiance exprimée par ces mouvements est avant tout le reflet de la profonde insécurité déclenchée par la crise sanitaire mondiale. «Lorsqu’il n’y a plus de certitudes, l’être humain a de la peine à gérer la situation. Dans ces situations, certaines personnes ont de la peine à accepter la réalité et ont besoin d’explications», ajoute-t-il.

Saluant la décision des autorités zurichoises d’autoriser la manifestation, Daniel Kübler précise qu’il est extrêmement important dans une démocratie que «toutes les opinions puissent être exprimées, même si certains les jugeront absurdes».