Enterré en votation populaire fédérale en 2014 par près de 77% des citoyens suisses, le revenu de base inconditionnel (RBI) revient sur le devant de la scène, en Suisse alémanique. La commune de Rheinau fera office de laboratoire pour tester partiellement cette idée - révolutionnaire pour les uns, farfelue pour les autres. Ce village zurichois a été sélectionné parmi une centaine de candidats par la réalisatrice argovienne Rebecca Panian, qui avait annoncé au début de l’année sa volonté d’expérimenter le RBI à l’échelle locale.

La cinéaste s’est associée à un économiste, un spécialiste du travail de l'EPFZ, un sociologue ainsi qu'une experte des média et de la communication. Ce projet pilote, qui démarrera début 2019 pour un an, doit encore trouver un financement de trois à cinq millions via. Ses instigateurs comptent sur une campagne participative qui démarrera en automne, ainsi que des dons de la part de fondations. L'expérience fera l’objet d’un documentaire.

50% de participation

C’est l’un des aspects qui a convaincu le maire de ce village de 1300 habitants, le socialiste Andreas Jenni: «Derrière cette idée, il y a une équipe sérieuse.» L’élu espère convaincre au moins 500 à 600 volontaires, soit près de la moitié de la population de Rheinau, sans quoi le projet sera abandonné. Les participants de plus de 25 ans, suisses ou étrangers, recevront un revenu jusqu’à 2500 francs par mois sans contrepartie, à condition qu’ils soient déjà résidents. «Nous voulons éviter que des personnes s’installent dans la commune seulement dans ce but», souligne le maire. Le montant prévu décroît en fonction de l’âge: 1875 entre 22 et 25 ans, 1250 entre 18 et 22 ans et 625 pour les mineurs jusqu’à 18 ans.

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Contrairement au concept du RBI - qui consiste à verser ce montant à quiconque, quels que soient ses revenus et sa fortune - les participants de Rheinau ne pourront cumuler leur revenu de base avec d'autres avoirs au-delà de la somme maximale. Une limite imposée par le cadre légal suisse, explique le maire: «Nous ne pouvons pas remplacer les prestations sociales ou l’AVS par un RBI. En revanche, si un retraité reçoit une pension de 1500 francs, par exemple, nous compléterons ce montant pour arriver à 2500.»

Raviver l’intérêt des citoyens pour la politique

L'économiste associé au projet, Jens Martignoni reconnaît les limites de l'expérience et son manque de représentativité. Il estime qu’il sera malgré tout possible de tester l’impact d’un revenu minimal de base sur le comportement de la population: «Nous aurons déjà une idée de l’effet que l'assurance d’un RBI peut avoir sur la société. Nous cherchons à savoir comment l'idée même d'une subsistance garantie transforme les dynamiques de groupe, les décisions individuelles, le rapport au travail et à l'argent».

Les chercheurs s'intéresseront aux choix des participants. Certains décideront-ils de quitter leur emploi et de se lancer comme indépendant? De prendre une année sabbatique? D'investir dans un projet collectif pour le village? Ou au contraire, de ne rien faire? «L'une des idées les plus répandues sur le RBI, c'est qu'il pousse à l'oisiveté. Nous verrons si c'est vraiment le cas», souligne Jens Martignoni. 

Le professeur de l’Institut de Hautes Etudes en Administration Publique (IDHEAP) de l'université de Lausanne, Giuliano Bonoli, doute de la valeur scientifique de ce test. «Comment espérer un changement de comportement si l'expérience ne dure qu'un année?», s'interroge-t-il. L'économiste s'étonne de la fascination que continue d'exercer la réflexion entamée durant la campagne de 2014. «Le concept du RBI séduit car il semble répondre aux mutations actuelles du marché du travail. Pourquoi ne pas remplacer une partie de la main d'oeuvre par des robots et partager équitablement la plus-value? Même si je doute qu'elle soit réalisable, cette idée à le mérite de nous pousser à réfléchir à la place du travail, de l'Etat et de l'argent dans notre société».

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Rheinau n'apportera pas les réponses à toutes les questions soulevées par cette utopie contemporaine. Mais la petite commune fera assurément parler d'elle. Ce village à la frontière avec l'Allemagne a été choisi en raison de l'hétérogénéité de sa population - proche de la moyenne suisse - mais aussi de la motivation de son exécutif. L'intérêt supposé des villageois qui, avec 27,5% de oui, étaient légèrement davantage à accepter l'initiative pour un RBI en 2014, a également pesé dans la balance. Ainsi que la présence d'une vie de locale: «Un village dortoir n'aurait pas convenu», souligne Jens Martignoni.

Détail cocasse, le maire Andreas Jenni avait voté contre le RBI en 2014. Son enthousiasme actuel n’est pas pour autant en porte-à-faux avec ses doutes d’alors, assure-t-il: «Face à cette initiative, je ne voyais pas comment on pouvait appliquer cette idée. Mais avec un test local, limité dans le temps, on ne prend pas de risque.» Le maire décèle un autre intérêt dans ce projet: raviver l’intérêt de la population pour la politique. «L’expérimentation à l’échelle humaine d’une théorie politique, c’est beaucoup plus enthousiasmant que de recevoir un bulletin de vote avec une question qui peut paraître abstraite.»