A Zurich, Shabbat tient à un fil (de nylon)
Religions
AbonnéTout comme à Amsterdam ou New York, la population juive de Zurich planche sur l’installation d’un «érouv»; la délimitation d’une zone symbolique abolissant certaines obligations du shabbat. Une mesure qui bénéficie du soutien de la municipalité

Juchés sur des trottinettes, trois enfants flanqués de papillotes rentrent de l’école. Arrivés à un croisement, ils saluent un aîné barbu au chapeau noir, Torah en main, vêtu d’une longue veste d’où s’échappent quelques tsitsit, petites ficelles blanches caractéristiques dans la communauté. Rien de particulièrement surprenant à Wiedikon, quartier du centre de Zurich où résident un nombre important de Juifs orthodoxes (plus de 1000 personnes). Ces derniers disposent de tout le confort dédié, un magasin Koscher City, des écoles juives primaires et secondaires et même leur propre service d’ambulances Hazoloh – sauvetage en hébreu. Chaque semaine pourtant, ils disparaissent de l’espace public.
Du vendredi 18 minutes avant le coucher du soleil au samedi soir jusqu’à l’apparition de trois étoiles a lieu en effet «shabbat», moment de repos assigné au septième jour de la semaine biblique. La Torah proscrit 39 activités durant cette période, certaines peu pratiquées en ville – labourer, moissonner, abattre une bête – et d’autres plus courantes – cuire quelque chose, allumer un feu, travailler ou encore, c’est l’une des plus contraignantes, transporter quelque chose en dehors du domaine privé. Il existe cependant une parade: l’érouv, une délimitation physique contiguë permettant de modérer certaines interdictions. Ce dont Zurich pourrait bientôt se doter.
«Impossible de sortir de chez soi avec une canne»
«A Anvers (Belgique), d’où je viens, nous avons un érouv. A Jérusalem, où je vis, évidemment aussi.» Croisé dans le bus à Wiedikon, Isaiah passe un mois à Zurich, pour «voir de la famille». L’idée d’un érouv zurichois, «j’en ai entendu parler, oui», dit-il. «C’est évidemment une bonne idée.» Sa construction, explique le Belge, permet de «symboliquement transformer un lieu public en un lieu privé afin de s’affranchir de certaines règles du shabbat». Le mot érouv signifie «mélange» en hébreu – ici celui du public et du privé. A Zurich, c’est Cédric Bollag, investisseur en start-up et membre pratiquant de la communauté juive, qui en a eu l’idée.
Lire aussi: Jehuda Spielman, un candidat juif orthodoxe aux élections communales zurichoises
«Lors du shabbat, explique ce dernier, la Torah définit ce qui est autorisé ou non. Il n’est par exemple pas possible de sortir de chez soi avec une canne, un fauteuil roulant ou une poussette. Un érouv rendrait ces choses possibles, ce qui améliorerait la qualité de vie des familles et des personnes âgées.» Afin de suivre les préceptes du shabbat, nombre de pratiquants se retrouvent en effet confinés chez eux, et en été, quand le soleil se couche tard, les journées peuvent être longues (à noter que le shabbat n’est pas seulement suivi par les orthodoxes, et que Zurich abrite plus de 5000 Juifs). Il y a environ trois ans, le Zurichois réfléchit à une manière de soulager ses pairs. Et propose un érouv. Le temps de s’assurer du soutien de la communauté (il existe des dissensions entre Juifs sur la nécessité de telles zones), Cédric Bollag contacte il y a un peu plus d’un an la municipalité de Zurich, qui lui donne un aval sur le principe.
«Le Conseil municipal s’engage pour que tous les Zurichois puissent pratiquer leur religion», souligne ce dernier au Temps, indiquant que «les coûts de développement, de mise en œuvre et d’entretien sont entièrement pris en charge par les initiants». Aucune demande de construction n’a pour le moment été adressée aux autorités, «toutefois il n’est pas encore clair de savoir où et dans quel cas elles seraient nécessaires», précise Cédric Bollag, qui travaille encore sur les derniers détails de l’ouvrage en coopération avec l’Office municipal des autorisations de construire, mais espère commencer l’édification d’une partie du périmètre «dans les prochaines semaines». Pratiquement, ajoute-t-il, son installation est peu visible. Environ 500 mètres de fil de nylon tendu à bonne hauteur entre certaines maisons et l’interprétation à des fins de contiguïté de maisons, murets et clôtures afin de former un parcours fermé de 18 kilomètres entourant une partie des quartiers de Wiedikon, Wollishofen et Enge. Des quartiers où résident des Juifs, mais pas seulement.
«Tout le monde demeure bienvenu»
«La structure est tellement discrète qu’il existe déjà un petit érouv autour de la synagogue depuis 1993 et que personne ne s’en est jamais plaint jusqu’ici, rassure Cédric Bollag. La zone actuelle n’est toutefois plus assez grande pour répondre aux besoins actuels, plaide-t-il. Et un nouvel érouv serait également intéressant pour les touristes.» Elu juif orthodoxe au Grand Conseil zurichois, Jehuda Spielman (PLR) ajoute que l’élargissement de l’érouv existant «permettra aux membres pratiquants de la communauté d’aller habiter un peu plus loin de la synagogue, ce qui est une bonne nouvelle car les loyers deviennent de plus en plus chers à Wiedikon.» Le politicien conçoit-il cependant qu’une telle structure puisse interloquer? «Il y a certainement des gens qui ne comprendront pas, dit-il, mais nous considérons que chacun doit pouvoir vivre sa vie comme il l’entend. Et un érouv est invisible tout en ayant un grand impact sur nos vies.»
Il ajoute que la construction d’une telle délimitation n’a pas pour vocation d’exclure le reste de la population, «tout le monde demeure bienvenu au sein de l’érouv». Malgré ces garanties, des projets similaires ont connu de fortes résistances ces dernières années, notamment aux Etats-Unis ou au Québec, où la ville d’Outremont, hostile à l’entreprise, a porté l’affaire jusqu’à la Cour supérieure de la province (qui l’a désavouée). A Zurich toutefois, aucune opposition particulière n’a jusqu’ici été formulée et la communauté devrait pouvoir procéder sans complications une fois l’intégralité des autorisations en main (l’altération, même minime, de bâtiments protégés nécessitant l’approbation du service concerné). Une fois la structure en place (un projet similaire suit également son cours à Bâle), il ne demeurera plus qu’à s’en occuper scrupuleusement. Un érouv n’est en effet valide que s’il est contigu, faute de quoi shabbat s’applique comme s’il n’était pas là. L’utilisation d’objets électroniques reste par ailleurs proscrite en tout temps durant cette période – avec ou sans érouv.