La fusillade de Las Vegas fait ressurgir un débat qui résonne de ce côté-ci de l’Atlantique: va-t-on, un jour, légiférer plus durement sur les armes pour éviter ce type de tuerie de masse?

Omniprésents aux Etats-Unis, revolvers et autres fusils d’assaut se retrouvent aussi en nombre en Suisse. Selon Small Arms Survey, une ONG basée à Genève qui fait autorité dans le domaine, le podium du nombre estimé d’armes par habitant comprend les Etats-Unis en tête, le Yémen puis la Suisse. Il y aurait ainsi près de 3,4 millions d’armes à feu sur le territoire helvétique, 4 pour 10 habitants.

La culture des armes en Suisse, dont les vecteurs sont l’histoire, la tradition, les sociétés de tir et l’armée de milice, est fondamentalement différente de celle des Etats-Unis

Denis Froidevaux, officier 

Dans le même rapport, il apparaît toutefois que le taux d’homicides par balles est quatre fois inférieur en Suisse par rapport aux Etats-Unis. A de rares exceptions près, comme la tuerie de Zoug en 2001 où 14 personnes ont trouvé la mort, ce type de fusillade est en effet très rare sur notre territoire. A titre de comparaison, le New York Times recensait ce lundi 521 «mass-shootings» – définis comme 4 personnes ou plus tuées ou blessées par balles au même endroit au même moment – ces 477 derniers jours aux Etats-Unis. Comment expliquer une telle différence?

Une question de culture

Martin Killias a dirigé l’Institut de criminologie de l’Université de Lausanne pendant vingt ans. A la question de savoir comment, malgré tant d’armes, la Suisse demeure relativement épargnée par les fusillades, le Zurichois déclare: «Ce qui est décisif, ce n’est pas tant le nombre d’armes que le nombre de personnes qui ont accès à une arme. C’est une nuance fondamentale. Certaines personnes disposent de véritables arsenaux, mais ce qui est vraiment déterminant, c’est l’accès à au moins une arme. Qui est en proportion largement inférieur en Suisse.»

En Suisse, l’écrasante majorité des personnes armées sont des militaires ou sont rattachées à l’armée. S’armer pour protéger sa famille est presque inexistant

Martin Killias, criminologue

Le profil des détenteurs d’arme joue également un rôle: «Les milieux qui en possèdent sont plus pacifiques», avance Martin Killias. «L’écrasante majorité des personnes armées en Suisse sont des militaires actifs ou sont rattachées à l’armée, ou alors ce sont des tireurs sportifs ou des chasseurs. En dehors de ces deux catégories, c’est beaucoup plus rare. S’armer pour protéger sa famille est par exemple presque inexistant.»

Il ajoute: «En outre, le milieu criminel helvétique, propice aux dérapages, n’a pas tellement versé dans l’armement. Un vendeur de drogue de rue n’est ainsi généralement pas muni d’un revolver. Aux Etats-Unis, au contraire, les vendeurs sont armés. Et les clients aussi.»

Le criminologue invoque encore le service militaire et le tri effectué lors du recrutement comme pare-feu supplémentaires. Des propos appuyés par Denis Froidevaux, brigadier et président de la Société suisse des officiers: «La culture des armes en Suisse, dont les vecteurs sont l’histoire, la tradition, les sociétés de tir et l’armée de milice, est fondamentalement différente de celle des Etats-Unis. La responsabilité individuelle donnée à un jeune de 20 ans à qui l’on remet une arme de service n’est certainement pas étrangère à ces chiffres.»

Les suicides, un point noir

Si tradition et responsabilité individuelle réduisent l’occurrence des tueries de masse, elles ne semblent pas réussir à prévenir le pire à titre individuel. En 2010, une étude mettait ainsi en lumière qu’environ un jeune homme sur deux qui se suicide en Suisse se sert d’une arme à feu, le record européen en la matière.

La recherche mettait directement en lien cette statistique avec la disponibilité des armes d’ordonnance dans le pays. Ces résultats trouvaient un écho quelques années plus tard dans l’étude d’un psychiatre bernois, qui démontrait que la diminution du nombre de suicides était directement corrélée à la diminution des effectifs de l’armée suisse.

Lire aussi: «Moins il y a de militaires dans l’armée suisse, moins il y a de suicides dans le pays»

L’absence de fusillade de masse n’empêche en outre pas non plus que des drames de moindre ampleur surviennent dans le pays. Prenons en exemple les drames par balles récents des Verrières (NE) le 5 août 2017: un homme tue son ex-compagne et un autre homme. De Chêne-Bougeries (GE) le 7 juin 2017: un homme tue sa femme avant de retourner son arme contre lui. Ou encore de Zurich le 10 août: un mort et une blessée.