Appelée à restaurer l'image de la Suisse, passablement détériorée par l'affaire des fonds juifs, la Swiss Foundation for World Affairs (SFWA) ouvrira ses portes au printemps, à Washington, poumon de la vie politique américaine et capitale des lobbies (Le Temps du 21 février). Munie d'un fonds annuel de 700 000 dollars (1,15 million de francs), la SFWA a, semble-t-il, suffisamment de garanties pour fonctionner trois ans. Mais après? La question se pose déjà, et l'on verra que les hommes à l'origine de la SFWA attendaient davantage de la Confédération.

Un pan de l'«offre suisse»

La Swiss Foundation for World Affairs complétera le panel de l'«offre» helvétique en terre américaine. La Confédération a créé presque coup sur coup Présence suisse – dont le champ d'activités ne se limite pas aux Etats-Unis – et, en octobre 2000 à Boston, une Swiss House dédiée à la Nouvelle Economie. Par ailleurs, de grandes entreprises (Credit Suisse Group, Nestlé, etc.) ont constitué un think tank («usine à penser»), Fondation Avenir Suisse, richement doté: 50 millions de francs.

Présidée par l'ancien secrétaire d'Etat Edouard Brunner, la SFWA est censée promouvoir la politique étrangère de la Suisse auprès de l'administration américaine. Pour y parvenir, elle compte activer des relais médiatiques et académiques, tels le New York Times et le Washington Post d'une part, des think tanks et des politologues de l'autre. Dirigée par l'ancien rédacteur en chef du quotidien bernois Der Bund, Peter Ziegler, elle emménagera dans la School of Advanced International Studies de l'Université John Hopkins, un établissement privé que dirigeait un membre du Parti républicain, Paul Wolfowitz, aujourd'hui numéro deux du Département de la défense dans l'équipe Bush. Elle s'attachera à faire connaître l'engagement de la Confédération dans le règlement de conflits et la protection des minorités, son travail humanitaire en général.

Le retour des républicains au pouvoir n'est pas pour déplaire aux concepteurs de la SFWA, même si le conseil des sages (advisory board) qui supervisera la Fondation devrait comprendre des démocrates. «La nouvelle administration américaine est beaucoup moins hostile envers la Suisse que ne l'était la précédente», confie un membre du conseil de fondation de la SFWA.

C'est en 1999 qu'est apparue l'idée de créer aux Etats-Unis ce qu'on se refuse à nommer un lobby mais qui en a l'apparence. Trois personnes prennent alors les choses en mains: Edouard Brunner, feu David de Pury et Pierre Keller, de la banque Lombard Odier et ancien vice-président du CICR. Ils fondent leur initiative sur le constat suivant: au cours de la dernière décennie, la Suisse, autrement dit le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), a eu le tort, selon eux, d'ignorer les Etats-Unis pour ne concentrer ses forces que sur la seule Europe. Du coup, elle n'a pas vu venir la crise des fonds en déshérence. La SFWA vise ainsi à empêcher la répétition d'un tel drame entre Berne et Washington. Elle s'emploiera à convaincre ses interlocuteurs américains que la Suisse a cessé de s'arc-bouter sur le secret bancaire stricto sensu au profit de la protection de la «sphère privée» – pas d'échanges d'information sur les comptes bancaires mais une ristourne aux Etats dont les ressortissants ont placé des fonds dans les banques helvétiques.

Générosité

La promotion d'une image généreuse de la Suisse: tel est l'objectif de la SFWA. Disposera-t-elle de moyens financiers suffisants? Approché en 2000 pour prendre la direction de la fondation, l'actuel ambassadeur de Suisse à Singapour, Raymond Loretan, a décliné l'offre, jugeant que le projet manquait de solidité. Un connaisseur du dossier affirme que la SFWA aurait dû pouvoir compter sur un fort soutien du DFAE. Or les Affaires étrangères n'allouent que 100 000 dollars à la Fondation, prélevés, qui plus est, sur le budget de Présence suisse. Le Département de la défense participe a hauteur de 75 000 dollars. La «petite» contribution du DFAE a peut-être ses raisons, note-t-on, dans quelque jalousie de l'ambassadeur de Suisse à Washington, Alfred Defago, à l'égard d'Edouard Brunner. Alfred Defago est l'homme nommé autrefois par Flavio Cotti. A l'inverse, le Tessinois et l'ancien secrétaire d'Etat ne se sont jamais entendus.

Le solde des 700 000 dollars formant le budget de la SFWA provient pour partie du Groupement des banquiers privés genevois. La SFWA aurait souhaité l'engagement des grandes entreprises, telle Nestlé. Mais celles-ci, échaudées par la gabegie d'ex-Expo.01, ont rejoint Fondation Avenir Suisse.