En Suisse, le déconfinement ravive les tensions
Coronavirus
La pression monte outre-Sarine. Les forces politiques emboîtent le pas aux milieux économiques pour réclamer l’ouverture du pays

Alors que, cette semaine, le Conseil fédéral doit annoncer de nouvelles décisions liées à sa stratégie de déconfinement, la pression monte chaque jour davantage outre-Sarine. Les forces politiques emboîtent le pas aux milieux économiques pour réclamer l’ouverture du pays. Les risques de nouvelle flambée de l’épidémie n’étant pas les mêmes dans l’ensemble du territoire, entre des régions à la population dense comme l’Arc lémanique et des régions rurales du centre de la Suisse, certains appellent à une sortie de crise en ordre dispersé. Au risque de raviver les tensions entre régions.
Fissure
Le virus n’a pas suivi les mêmes courbes dans l’ensemble du pays, touchant davantage les cantons latins, Bâle-Ville et les Grisons, tandis que la Suisse centrale est restée relativement préservée. On a vu se dessiner un «Coronagraben», entre Romands et Tessinois qui penchent pour des mesures drastiques afin de lutter contre l’épidémie et des Alémaniques plus mesurés. Au départ, partis et cantons ont fait bloc derrière des mesures uniformes, face à l’urgence et la perspective d’un drame à la milanaise. Mais depuis que la courbe des infections ralentit, l’unité se fissure.
En Suisse alémanique, l’UDC n’est plus la seule à prôner une levée du lockdown. Il y a eu les mises en garde contre la récession dans la NZZ am Sonntag, de la part de la conseillère d’Etat zurichoise responsable de l’Economie, Carmen Walker Späh, qui appelle à une «ouverture rapide». Puis les lettres au Conseil fédéral des cantons d’Argovie et de Saint-Gall pour une accélération du tempo de sortie de crise. Ou encore les critiques acerbes de la présidente du PLR, la Schwytzoise Petra Gössi, qui déplorait dans le Tages-Anzeiger un «manque de stratégie» du gouvernement.
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Le conseiller aux Etats d’Obwald Erich Ettlin explique ainsi cette impatience: «En Suisse centrale, nous ne vivons pas du tout la même situation que Vaud ou Genève. Chez nous, les hôpitaux n’ont jamais été en difficulté. Au contraire, ils sont vides. Le personnel soignant n’a plus de travail. Dans ces circonstances, la population nous interpelle. Elle ne comprend pas que nous laissions l’économie à terre alors que la situation est sous contrôle.» Le député, membre de la Commission de l’économie, plaide donc pour un déconfinement calibré sur les réalités vécues dans les différentes régions.
Une entrave
Pourtant, le fédéralisme a été pointé du doigt comme une entrave à une conduite claire et efficace en temps de crise aiguë. «Je ne comprends pas cette critique», souligne Benedikt Würth. Conseiller aux Etats saint-gallois, président de la conférence des gouvernements cantonaux, il estime au contraire qu’une approche différenciée du déconfinement s’avérerait plus efficace: «Nous constatons que les pays aux systèmes fédéraux comme l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse s’en sortent mieux que les pays centralisés comme la France ou l’Italie. En première ligne sur le terrain, les cantons et les communes peuvent se montrer précieux pour mettre en place des mesures adaptées.» D’après l’élu, les cantons doivent pouvoir décider d’appliquer différemment les mesures dans les écoles dès le 11 mai. Idem pour les musées, les zoos, les bibliothèques. En revanche, il estime nécessaire d’avoir une réponse unique sur l’ouverture des commerces, pour «éviter le tourisme d’achat».
A Saint-Gall, précise Benedikt Würth, la situation est «sous contrôle», avec 727 cas positifs recensés, 29 morts et six personnes aux soins intensifs. Dès lors, plus que la situation sanitaire, c’est l’impact économique des mesures qui préoccupe les esprits. «Chaque jour compte. Nous ne redoutons pas une nouvelle vague épidémique, mais plutôt la rupture de l’équilibre entre la protection de la santé et la préservation des intérêts économiques.»
Autodiscipline
Les élus alémaniques appelant à une sortie rapide du confinement misent tout sur l’autodiscipline helvétique, considérée comme une meilleure arme pour lutter contre la propagation du virus que les restrictions imposées. «Je suis convaincu que l’économie, les entreprises, la population comprennent ce qui se passe et continueront à s’en tenir aux règles de distanciation sociale, même après la levée des interdictions», affirme Benedikt Würth.
La baisse du nombre de cas de contamination, confortant les esprits dans l’idée que les mesures payent, renforce aussi l’idée que la responsabilité individuelle du citoyen suffira à tenir à distance l’épidémie. Mario Fehr, conseiller d’Etat zurichois socialiste responsable de la sécurité: «Dans une démocratie, nous devons éviter autant que possible de limiter les libertés. J’ai demandé aux polices d’infliger aussi peu d’amendes que possible et de privilégier une approche basée sur la compréhension. Il faut expliquer aux citoyens. Une fois qu’ils ont compris, ils suivent les règles.»
Mario Fehr est convaincu que leur propension à l’autodiscipline a préservé la Suisse dans cette crise. Il ne voit pas que les régions où l’infection s’est propagée plus tard ont davantage profité de mesures de confinement décrétées pour tous et perçoit d’un œil méfiant la tentation romande de prolonger le confinement, qu’il explique par l’influence de mesures strictes à la française: «Enfermer les gens est une capitulation de l’Etat de droit. Ce n’est pas tenable. Un jour, nous devrons tous sortir et le virus sera encore là. Il faudra bien apprendre à vivre avec les nouvelles règles de distanciation. Et cela fonctionne. La Suisse a évité le pire.»