Convoiter un siège au Conseil de sécurité ne participe pourtant pas d’une lubie soudaine. Déjà dans le message relatif à l’initiative populaire «Pour l’adhésion de la Suisse à l’Organisation des Nations unies» du 4 décembre 2000, le Conseil fédéral avait indiqué qu’une présence pleine et entière de la Suisse au sein de l’ONU comportait également la possibilité de siéger au Conseil de sécurité. La Suisse a de fait officiellement déposé sa candidature en 2011 pour la période 2023-2024.
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A en croire Gerhard Pfister, la Suisse n’aurait aucun rôle à jouer. Mais qu’en est-il? Ce n’est pas l’avis du renommé laboratoire d’idée new-yorkais International Peace Institute (IPI) qui vient de publier une étude, mentionnée récemment par la radio alémanique SRF et intitulée «Une voix nécessaire: les petits Etats (ou petites puissances), le droit international et le Conseil de sécurité». Alors que l’ordre libéral de l’après-guerre est «assiégé», les petits Etats sont ceux qui ont le moins intérêt à ce qu’il se détériore davantage et que le monde revienne à l’ancien modèle basé sur la puissance et les jeux à somme nulle. Ils seraient les premiers perdants du chaos où seule la force compte. Pour ces pays, «les systèmes multilatéraux fondés sur l’Etat de droit sont vitaux».
Selon Adam Lupel, vice-président de l’IPI, la Confédération, petit Etat de 8,5 millions d’habitants, a un rôle plus important qu’on ne l’imagine. Il le confie au Temps: «La Suisse a une vraie opportunité. Elle est largement reconnue comme défendant un ordre international basé sur le droit ainsi que le droit international humanitaire. Sa cohérence et sa crédibilité devraient lui permettre d’aborder ces sujets avec autorité.»
Diplomatie de niche
Les petits Etats comme la Suisse n’ont bien sûr pas la puissance militaire, politique et économique des Etats-Unis, de la Chine ou de la Russie, mais ils ont d’autres arguments. Ils peuvent jouer un rôle modeste mais critique sur le plan normatif en défendant le droit international au sein de l’organe suprême de l’ONU. Comme le soulignait l’ex-président d’Estonie Lennart Meri, «le droit international est l’arme nucléaire des petits Etats».
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La meilleure stratégie pour les petits Etats est de pratiquer ce qu’Adam Lupel appelle la «diplomatie de niche»: se concentrer sur quelques domaines prioritaires. Le Liechtenstein, par exemple, a su s’appuyer sur son expertise en lien avec la Cour pénale internationale et il a poussé, dans le cadre du groupe d’Etats ACT (au sein duquel la Suisse a été très active), à inciter les membres permanents du Conseil de sécurité à ne pas recourir à leur droit de veto en cas d’atrocités de masse. La Suède, pays neutre, a joué un rôle remarqué au Conseil de sécurité pour faire avancer la cause humanitaire dans le dossier syrien. C’est elle qui a mené les efforts pour l’adoption en 2018 d’une résolution visant à imposer une «pause humanitaire» de 30 jours. L’Australie, le Luxembourg et la Jordanie ont encouragé l’adoption de deux résolutions humanitaires liées au conflit syrien.
En tant que membre non permanent durant deux ans, la Suisse occuperait une, voire deux fois la présidence mensuelle du Conseil de sécurité. Une occasion unique de promouvoir son agenda. Elle peut aussi être présente dans différents comités. Adam Lupel poursuit: «Le contexte géopolitique actuel est complexe. Il y a les traditionnelles divisions entre Est (Russie-Chine) et Ouest (Etats-Unis et Européens), mais il y a désormais aussi des divisions dans le camp occidental même. Washington a mis son veto à un projet de résolution britannique sur le Yémen. Du jamais vu. Il y a donc une nécessité majeure d’établir des ponts. La Suisse neutre est très bien placée pour jouer ce rôle, pour créer du consensus» au sein des neuf membres élus sur les quinze que comprend le Conseil.
Neutralité
Et la neutralité? Le Département fédéral des affaires étrangères est très clair sur ce point: «L’occupation […] d’un siège de membre par des Etats neutres ou non alignés tels que l’Autriche, la Suède et l’Irlande démontre qu’un mandat au Conseil de sécurité ne remet en question ni la crédibilité de la neutralité, ni un engagement actif au sein du Conseil de sécurité. Il apparaît au contraire que la neutralité et le système de sécurité collective de l’ONU se renforcent mutuellement.» Et s’il faut décider d’une intervention militaire, Berne peut toujours s’abstenir.
En Suisse, ces arguments ne convaincront pas l’UDC, ni une frange du PDC et du PLR. Gerhard Pfister assure que «le monde était très différent» quand le Conseil fédéral a déposé la candidature suisse. Son scepticisme contraste avec l’enthousiasme de son ex-collègue de parti Joseph Deiss, qui a contribué à améliorer la collaboration entre le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale de l’ONU qu’il présidait entre 2010 et 2011. Quant au Parti libéral-radical, il n’a pas discuté de la question en profondeur. Mais sa présidente, Petra Gössi, le souligne: «Je suis plutôt critique par rapport à cette candidature.» Celle-ci devrait être promue par le Conseil fédéral en été 2020 déjà. Sans grande pompe, «à la suisse».
Berne est déjà en mode actif depuis plusieurs années pour obtenir le soutien de pays européens dont l’Autriche, la Suède, les Pays-Bas, l’Allemagne et des membres permanents. Aussi, un retrait de la candidature porterait-il fortement préjudice à la réputation du pays.