La Suisse n’est pas près d’avoir sa «smart city»
Technologie
Les projets de villes intelligentes restent atomisés en Suisse. La possible interconnexion des données inquiète

Caméras toujours plus présentes, logiciels qui s’affinent, données qui gonflent de manière exponentielle: la surveillance est une pratique, et une économie, en plein boom. Durant cinq jours, nous explorons certaines des facettes de cette montée en puissance de l’observation sécuritaire, avec ces zones d’ombre.
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Miser sur les nouvelles technologies pour rendre la ville plus efficiente et plus confortable. Voilà à quoi correspond une smart city. En Suisse, plusieurs projets en cours correspondent en partie à cette définition. Mais l’apparition, à l’échelle d’une commune helvétique, d’une «ville intelligente» similaire à celle de Songdo, en Corée du Sud, avec son quartier pilote ultra-connecté et sa population très technophile, paraît futuriste.
Des embryons de smart cities sont dans le paysage romand depuis plus d’une décennie. L’idée d’autoroute connectée de contournement à Genève est l’un des exemples. Mais à l’heure actuelle, aucun projet à l’échelle d’un canton n’est prévu en Suisse. C’est au niveau des communes, qui ont un large pouvoir d’action dans ce domaine, que les projets sont le plus développés.
La ville de Pully, avec notamment un logiciel de gestion du réseau d’eau et des e-tickets de piscine, l’Etat de Genève, avec les Services industriels, ou bien encore le Smart Ski Resort de Téléverbier SA, dont l’objectif est d’optimiser le domaine skiable et les dépenses énergétiques. Dans l’économie privée, notons Advertima, une start-up saint-galloise, a développé des panneaux publicitaires s’adaptant aux profils des passants.
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Un manque de communication entre les projets
Les idées et les propositions sont nombreuses, mais elles ne garantissent pas une cohérence nationale. Un problème qui devrait se régler à l’avenir, selon Franscisco Klauser. Le professeur à l’Université de Neuchâtel prédit une «interconnexion de ces mesures de smart cities» dans les années à venir. «Toutes les communes cherchent des solutions en matière d’optimisation. Beaucoup de projets épars existent, avec une volonté – ou pas – de communiquer cette dynamique», ajoute Didier Faure, chef de projet au bureau de conseil Innobridge.
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Actuellement, chaque ville mène son combat pour son service et son territoire. «Les problématiques de Verbier ne sont pas celles de Lausanne. L’accélération de l’innovation et le déploiement de smart cities passeront par une meilleure communication de la part des acteurs», suggère le spécialiste. Cette démarche pourrait permettre une diffusion plus large des bonnes pratiques et augmenter l’interconnexion entre les villes. L’objectif serait qu’elles s’inspirent encore plus les unes des autres. Actuellement, seule Pully a ouvert une voie en créant un site internet dédié à son projet.
Des craintes autour de la protection des données
C’est que les excès de la smart city génèrent des craintes. «La Suisse est encore un pays de démocratie directe où le citoyen a clairement son mot à dire», selon Didier Faure. De son côté, Francisco Klauser rassure en soulignant que la Suisse «est encore loin de ce que l’on voit dans les pays du Golfe avec la reconnaissance faciale qui analyse les réactions des clients».
La crainte est que cette interconnexion des données et des services n’aboutisse à une surveillance généralisée. «Je pense que l’on commence à se poser les bonnes questions», avance Didier Faure en évoquant la protection des données. «Les collectivités collectent nos données pour mieux nous servir, c’est beau sur le papier. Néanmoins, cela peut devenir une atteinte disproportionnée à la sphère privée», s’inquiète la conseillère nationale Lisa Mazzone (Verts/GE). La crainte de l’élue verte est que l’on se tourne vers des projets étiquetés smart city dans l’objectif de généraliser la vidéosurveillance intrusive.
Pour illustrer son propos, elle cite l’exemple niçois. Francisco Klauser, auteur d’un travail sur la vidéosurveillance dans le quartier des Pâquis, à Genève, souligne que, via les smartphones et les applications numériques, «Google vous connaît peut-être mieux que la police». Très favorable aux smart cities, le conseiller aux Etats Olivier Français (PLR/VD) tient à calmer le jeu: «C’est vrai qu’il y a une inquiétude. Mais si on s’oppose à ce monde numérique, on se coupe de tout et on s’exclut dans notre bulle.»
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La France comme modèle
Comment la Suisse pourrait-elle combler son retard par rapport à la bonne utilisation des technologies au service d’une gestion intelligente des villes? Didier Faure considère comme envisageable d’adapter en Suisse le projet de «ville astucieuse», actuellement développé à Dijon. «Ce serait un bon levier d’action pour les villes suisses», affirme-t-il. Olivier Français préfère une approche plus modeste: «Sur la base d’expériences menées à l’étranger, nous devons en faire une critique puis les développer chez nous.» Des débats qui devraient animer les Smart City Days à Monthey, en septembre prochain.