La Suisse affronte cet automne l'une de ses épreuves les plus difficiles de sa longue quête de respectabilité fiscale.

Depuis 2009, elle s'est engagée à livrer des informations aux pays dont les contribuables auraient caché des fonds non déclarés dans ses banques. D'innombrables lois ont été passées dans ce but. Mais l'échange d'informations fonctionne-t-il vraiment ? La Suisse est-elle capable de tenir ses engagements ?

C'est ce que va vérifier le Forum mondial pour la transparence fiscale de l'OCDE. Ces prochains mois, cet organe obscur mais stratégique va soumettre la Suisse à un «examen par les pairs» qui s'annonce ardu. Car les Suisses l'admettent eux-mêmes, ils ont encore du mal à répondre aux quelque 1500 demandes d'entraide fiscale envoyées chaque année à Berne.

Missing fichier.

«La Suisse a fait des progrès spectaculaires dans son cadre légal, reconnaît Monica Bhatia, ancienne inspectrice du fisc indien devenue secrétaire générale du Forum mondial. Mais c'est le moment de voir si cela marche sur le terrain. Que se passe-t-il concrètement lorsque des demandes sont faites ?»

Lire également : Monica Bhatia, l'Indienne sans concession

L'examen par les pairs a démarré la semaine dernière. Les pays avec qui Berne a signé des accords d'échange d'informations ont reçu un questionnaire. Quelle a été leur expérience avec la Suisse ? Combien de demandes d'assistance fiscale ont-ils envoyées ? Combien de réponses ont-ils eu, en combien de temps ? Sinon, pourquoi ne leur a-t-on pas répondu ?

La Suisse tremble, mais espère une bonne note

Avant la fin de l'année, des examinateurs de l'OCDE – souvent d'anciens fonctionnaires du fisc détachés par leur pays – doivent se rendre à Berne pour jauger les performances helvétiques. Le rapport final du comité d'évaluation est attendu en juin ou septembre 2016.

Non sans trembler un peu, la Suisse espère une bonne note. Car les pays, comme des écoliers passant un examen, sont soumis à des notes qui vont de 1 à 4. 1 signifie «conforme» aux standards d'échange d'information de l'OCDE, 2 veut dire «largement conforme», 3 «partiellement conforme» et 4 «non-conforme».

La Suisse veut obtenir un 2 mais craint secrètement de recevoir un 3, comme l'Autriche au même stade. Ce qui voudrait dire que son système d'échange d'informations doit être sérieusement amélioré.

«Notre objectif est d’obtenir une note qui reflète les progrès accomplis ces dernières années par la Suisse, précise, à Berne, Mario Tuor du Secrétariat d’État aux questions financières internationales. La Suisse s’attend à être traitée de manière objective et équitable dans le cadre de son évaluation par les pairs.»

Objective, l'évaluation ? Vue de Suisse, la chose n'a rien d'évident. Le Forum mondial est présidé par la France, pays réputé dur un matière fiscale. Paris a longtemps eu un contentieux avec la Suisse, qui rejetait la plupart de ses demandes. Les relations se sont améliorées cette année.

Lire aussi : Les points faibles qui handicapent la Suisse

Le poison des données volées

Mais parmi les vice-présidents du Forum, on trouve aussi l'Inde, qui a fait la preuve de son intransigeance envers Berne. Le problème vient pour l'essentiel des listes de clients de HSBC volées, en 2006-2007, par Hervé Falciani à Genève. Ces données contiennent les noms de centaines de contribuables indiens, notamment les membres de grandes familles diamantaires.

L'Inde a reçu les données Falciani de la France en 2010 déjà. Elle a ensuite demandé à la Suisse de confirmer l'identité des contribuables concernés. Mais Berne refuse de coopérer lorsque les informations requises proviennent de listes volées. Cette pratique est jugée contraire à ses standards par l'OCDE. Le Conseil fédéral a voulu l'assouplir en 2013, avant de renoncer face à la résistance des milieux fiduciaires et bancaires.

Les Indiens ont agi un peu comme des sauvages en envoyant des copies des données Falciani

A Davos, en janvier 2014, le ministre indien des Finances Palaniappan Chidambaram avait bruyamment dénoncé le manque de coopération suisse. Les deux pays se sont beaucoup parlé depuis. La Suisse a accepté d'entrer en matière sur certaines demandes, pourvu qu'elles soient fondées sur des enquêtes indépendantes des données volées. Mais au final, seules une poignée de requêtes indiennes ont été traitées.

«Les Indiens ont agi un peu comme des sauvages en envoyant des copies, presque des photocopies des données Falciani, commente un connaisseur du dossier. Ils n'ont pas chercher à habiller leurs requêtes.»

Cet été, Berne a été averti que son contentieux avec New Delhi risquait de ressurgir durant l'évaluation. Et le problème des données volées ne se limite pas à l'Inde : une trentaine de pays ont aujourd'hui reçu la liste Falciani.

Le Conseil fédéral veut donc assouplir sa pratique. Désormais, la Suisse pourra coopérer, à condition que l’État requérant n'ait joué aucun rôle dans le vol de données. Et qu'il ait obtenu ses informations dans le cadre d'une procédure formelle d'assistance administrative.

Le projet du Conseil fédéral est soumis à consultation jusqu'au 2 décembre. S'il ne passe pas l'épreuve du parlement avant l'été prochain, cela risque de peser défavorablement sur la note finale de l'examen.