Encore un procès qui se transforme en véritable casse-tête pour le Tribunal pénal fédéral. Alieu Kosiah, ancien chef rebelle réfugié sur les bords du Léman, prévenu de crimes de guerre pour des atrocités commises il y a un quart de siècle au Liberia, devait comparaître devant les juges de Bellinzone à la mi-avril. En raison de la pandémie, les débats ont été reportés une première fois au mois d’août. Aujourd’hui, la cour informe les parties que ce grand rendez-vous est désormais repoussé à la fin de l’année. Les auditions des sept parties plaignantes et de sept témoins, domiciliés dans le district de Lofa et dont la venue en Suisse est pour le moment impossible, n’ont pas pu être organisées à temps par vidéoconférence. L’exercice se heurte à des complications diplomatiques et techniques très particulières.

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Pour mener ces auditions à distance, une demande d’entraide judiciaire a été adressée au Liberia. L’autorisation de procéder est tombée le 27 mai 2020 après de nombreuses démarches, mais cela n’a pas suffi à faire avancer les choses. Dans un communiqué, la cour précise qu’il n’a pas été possible de mettre en place ces vidéoconférences pour le mois d’août, compte tenu «de contraintes logistiques très importantes».

Réticence et saison des pluies

En effet, la Suisse ne disposant pas d’une ambassade à Monrovia, la justice a dû s’adresser, avec l’aide de l’ambassadeur de Suisse en Côte d’Ivoire, à des représentations diplomatiques étrangères pour requérir de ces dernières la mise à disposition de locaux et du matériel technique nécessaire pour mener des auditions par vidéoconférence. «Aucune de ces ambassades étrangères n’a, pour l’heure, formellement accepté de fournir à la cour les moyens logistiques précités», ajoute la cour. Des contacts ont également été engagés avec l’ONU, qui pourrait fournir une aide aux auditions.

A ces complications est venue s’ajouter la saison des pluies! Les mois d’août et de septembre se situent en pleine période diluvienne, rendant le transport des parties plaignantes et témoins, de leur domicile à la capitale, beaucoup plus compliqué. Sans oublier que des restrictions de déplacement sont encore en vigueur dans le pays pour lutter contre la propagation du virus.

Bref, le sort s’acharne sur la tenue du procès, mais les juges de Bellinzone veulent garder espoir: «Si, à l’heure actuelle, la venue des 14 ressortissants libériens en Suisse est toujours impossible, en raison des restrictions liées à la pandémie de Covid-19, il n’apparaît pas exclu qu’une amélioration des conditions sanitaires le permette dès l’automne. Compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, les débats auront lieu en novembre et décembre 2020, afin de permettre, en cas de besoin, l’audition par vidéoconférence de ressortissants libériens, dans l’hypothèse où leur venue en Suisse à cette période serait toujours impossible ou inopportune.»

Longue détention

Pour le prévenu, ce nouveau report est problématique sous l’angle d’une détention provisoire qui dure depuis bientôt six ans. Défendu par Me Dimitri Gianoli, cet ex-commandant du Mouvement de libération pour la démocratie (Ulimo), opposé au Front national patriotique du Liberia (NPFL) de Charles Taylor, conteste avoir commis ou incité à commettre les horreurs qu’on lui reproche à l’issue d’une enquête ayant nécessité l’audition de 25 témoins et la collaboration de sept Etats ou organisations internationales.

Du côté des victimes, l’impatience guette aussi. Sept personnes sont parties plaignantes à cette procédure. Mes Romain Wavre et Alain Werner, tous deux actifs au sein de l’ONG Civitas Maxima, représentent quatre d’entre elles. «Cela fait vingt-cinq ans que les victimes attendent justice pour les souffrances subies, c’est avant tout à elles que nous pensons en ce moment», disaient déjà les avocats lors de l’annonce du premier report.

L’ancien chef rebelle sera jugé pour des crimes imprescriptibles commis entre 1993 et 1995 dans le district de Lofa, un territoire du nord-ouest ravagé par une succession de conflits. En substance, Alieu Kosiah est accusé d’avoir ordonné de tuer ou tué lui-même des civils et des soldats en dehors des combats, profané le corps d’un défunt, violé une civile, ordonné des traitements inhumains, recruté un enfant soldat, participé à des pillages et forcé des civils à transporter des biens ou des munitions.

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