La Suisse romande a besoin de rails, on lui offre des routes
Mobilité
AbonnéEn ouverture de la session d’été, le Conseil national est amené, sur impulsion du Conseil fédéral, à attribuer des milliards à l’entretien et à l’extension des routes nationales. Un projet valdo-genevois bénéficiera de cette manne en cas de oui

Retard de plus d’une décennie dans la transformation de la gare de Lausanne, liaisons ferroviaires bientôt dégradées pour cause de travaux, prix du billet revu sous peu à la hausse: il est établi que la Suisse romande a un besoin urgent d’investissements dans le rail. Or, en ouverture de la session d’été du parlement fédéral, mardi 30 mai, ce sont des milliards pour la route que le Conseil national sera amené à voter.
Les investissements liés aux infrastructures routières pour 2024-2027, issus du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) d’Albert Rösti, représentent 13 milliards de francs. Deux tiers seront consacrés à l’entretien des voies existantes, le reste étant destiné à des projets à Berne (Wankdorf-Schönbühl, Schönbühl-Kirchberg), à Saint-Gall (troisième tube du tunnel de Rosenberg), à Bâle (tunnel du Rhin) et à Schaffhouse (deuxième tube du tunnel de Fäsenstaub). A ce programme strictement alémanique, a été ajouté in extremis un appendice romand, avec l’aménagement de l’autoroute sur la partie Le Vengeron-Coppet-Nyon.
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La perspective de voir de telles sommes consacrées au trafic routier alors que la Suisse a des objectifs à tenir pour respecter ses engagements internationaux dans la lutte contre le réchauffement climatique ulcère la gauche. «Développer la route est un contresens complet alors qu’elle est responsable de 37% du CO2 produit en Suisse, s’insurge Isabelle Pasquier-Eichenberger, conseillère nationale verte genevoise, membre de la Commission des transports. Il y a en moyenne 1,5 passager par voiture actuellement. Elargir les autoroutes sans modifier ce type d’usage ne résoudra pas les problèmes de surcharge. D’autant plus qu’il est désormais clair pour tout le monde que c’est dans le domaine ferroviaire que nous affronterons des enjeux majeurs durant les quinze prochaines années.» L’inquiétude de la Verte s’est renforcée avec la réponse positive du Conseil fédéral à une motion d’un UDC bernois, Eric Hess, demandant l’élargissement de l’autoroute A1 à six voies sur les tronçons Zurich-Berne et Genève-Lausanne.
Menace de référendum
Le programme soumis au Conseil national a déjà fait dire à l’Association transports et environnement (ATE), que la Genevoise vice-préside, son intention de lancer un référendum en cas de vote positif. C’est d’ailleurs cette menace qui a provoqué l’introduction des aménagements valdo-genevois, initialement prévus pour 2030; l’argument d’un programme non strictement alémanique affaiblissant la portée d’un référendum.
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La déception de l’écologiste s’explique, et pas uniquement pour des raisons partisanes. Au début des années 2010, les gouvernements de Vaud et de Genève avaient formé une alliance afin de défendre ensemble auprès de la Confédération leurs besoins en mobilité; la gauche était prête à soutenir la route, la droite à financer le rail. Aujourd’hui, l’état des projets ferroviaires peut laisser penser qu’une partie du pacte n’a pas été respectée. «Pour la route comme pour le rail, on est à la ramasse», corrige Olivier Français, en prenant pour exemple le contournement de Morges qui, bien que jugé prioritaire, n’existe toujours pas.
Ne pas opposer rail et route
Pour le sénateur PLR vaudois, grand défenseur du train en Suisse romande, «il ne faut surtout pas réactiver la guerre opposant rail et route», même s’il convient qu’il n’y a eu que peu d’avancées dans les deux domaines. La faute à des procédures trop longues, assure l’élu, et à un atavisme romand: s’opposer. «A la gare de Lausanne, ce sont deux ans de perdus uniquement par l’opposition d’une seule personne», rappelle Olivier Français. En Suisse alémanique, constate-t-il, les projets sont mieux accompagnés par les cantons. Mais même cette démarche ne garantit pas le succès à Berne: récemment, malgré un vote populaire cantonal favorable, Thurgovie a dû faire une croix sur le développement d’un axe routier, devant le refus de l’Office fédéral concerné.
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«Ce n’est pas en délaissant la route que l’on va accélérer le rattrapage sur le rail», renchérit Olivier Feller, conseiller national PLR, membre de la Commission des transports. Le Vaudois convient cependant qu’il est curieux qu’il faille une menace de référendum pour qu’un projet romand soit introduit dans le programme de financement de la route, alors que la région lémanique est celle qui connaît la hausse démographique la plus importante du pays.
Pas de vase communicant
Sous-entendre que les fonds destinés à la route pourraient profiter aux trains, c’est également oublier que le long débat sur le financement croisé de la mobilité a été tranché. En 2017, le peuple et les cantons avaient adoubé la création d’un fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (Forta). Depuis, il n’y a pas de vase communicant avec le fonds d’infrastructure ferroviaire (FIF).
Ce choix routier convient-il aux autorités concernées? «La réalisation d’une troisième voie autoroutière est une nécessité pour la mobilité dans le canton, vu la situation actuelle de saturation régulière de l’autoroute, répond Serge Dal Busco, ministre genevois des Infrastructures, pour quelques jours encore. Ce projet, associé au développement des transports collectifs et de la mobilité douce sur le canton, permettra de sortir le trafic du cœur de l’agglomération et de diminuer les nuisances dans le centre urbain.»
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Derrière les formules d’usage, la réponse vaudoise laisse transparaître un certain désappointement. Nuria Gorrite, conseillère d'Etat: «Si le gouvernement approuve globalement les grandes lignes des projets d’augmentation de capacité des routes nationales sur son territoire pour fluidifier le trafic et améliorer la sécurité, il rappelle la nécessité de les coordonner avec un développement prioritaire de l’offre ferroviaire (nouvelle ligne Lausanne-Genève, amélioration des axes Lausanne-Berne et Lausanne-Valais), non seulement pour permettre l’atteinte des objectifs climatiques de la Confédération et du canton de Vaud mais aussi pour répondre aux besoins de mobilité croissants sur ces liaisons. De manière générale, le gouvernement vaudois estime que les objectifs climatiques devront être davantage pris en compte dans le futur. Lors de la prochaine consultation sur le programme de développement stratégique des routes nationales, il examinera le programme soumis à l’aune du Plan climat cantonal de 2e génération en cours d’élaboration.» Albert Rösti est averti.
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