L’afflux de réfugiés ukrainiens ne se tarit pas. Jusqu’à ce vendredi, 39 258 personnes ont été enregistrées en Suisse et 32 208 d’entre elles ont reçu le statut S, rapporte le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Le temps passant, des adaptations s’avèrent nécessaires. Des cantons ou communes accueillent beaucoup plus de réfugiés ukrainiens qu’ils ne le devraient, constate David Keller. Le directeur de l’état-major de crise pour l’asile au SEM a donc annoncé jeudi, lors d’une conférence de presse, le retour à une distribution conventionnelle des réfugiés – avec des exceptions. La Confédération attribuera une part des réfugiés entrant en Suisse aux autorités cantonales en tenant compte des structures fédérales présentes sur le territoire et de la population.

Une idée des réalités

Pour la plupart des cantons romands, cela devrait se traduire par une augmentation du nombre d’Ukrainiens accueillis. Certains d’entre eux n’ont pas encore atteint leurs quotas (une partie des Alémaniques sont dans le même cas), remarque Gaby Szöllösy, secrétaire générale de la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS). Mais leur bonne volonté n’est pas mise en cause. Une des raisons réside dans le fait que la Confédération ne compte qu’un centre d’enregistrement d’asile en Suisse romande, ce qui pousse naturellement les Ukrainiens outre-Sarine.

Un tour d’horizon des cantons romands permet de se faire une idée des réalités, même s’il ne s’agit que d’approximations et que les fluctuations sont permanentes. En Valais, 1341 Ukrainiens étaient recensés jusqu’à ce jeudi, lit-on sur le site de l’administration. Le canton doit en accueillir 4%, donc environ 1570. A Fribourg, 1375 personnes se sont annoncées, indique Claudia Lauper, de la Direction des affaires sociales. Le quota s’élève là-bas à 3,8%, soit quelque 1492 Ukrainiens. Dans le canton de Vaud, le conseiller d’Etat responsable, Philippe Leuba, évoque 2706 réfugiés enregistrés jusqu’à mercredi, alors que la clé de répartition de 9% correspond grosso modo à 3533 personnes.

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Le canton du Jura semble, lui, «à jour»: devant prendre en charge 1% des nouveaux arrivés, c’est-à-dire autour de 392 personnes, il se situe au-dessus avec ses 400 hébergés. La ministre de l’Intérieur, Nathalie Barthoulot, rappelle l’aide précieuse de la population et l’importance de l’effort à fournir. «Nous avons a priori mobilisé des hébergements collectifs comme des colonies de vacances. La difficulté n’est pas seulement de trouver des places, mais aussi d’équiper les appartements lorsque l’on parle d’hébergement individuel. Si le flux d’arrivées continue, nous serons en difficulté pour répondre à la demande.» Dans le canton de Vaud, Philippe Leuba lui fait écho. «La population fait preuve d’une grande solidarité, ce qui nous aide à surmonter ce défi», salue-t-il. Uniquement 25 à 30% des personnes réfugiées dans le canton sont hébergées dans des structures proposées par l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM).

Genève, soutenu par l’Hospice général, s’appuie lui aussi sur la générosité de sa population pour accueillir des Ukrainiens. Ainsi, 1265 personnes sont installées dans des logements privés, 91 dans des familles d’accueil proposées par l’OSAR (Organisation suisse d’aide aux réfugiés), 225 à l’Hospice général ou dans des hôtels partenaires et 45 à Palexpo, indique le canton dans son communiqué. Contacté, celui-ci ne nous a pas transmis d’autres données chiffrées. Même absence de réponse du côté de Neuchâtel, où la population se mobilise également. Le 11 avril dernier, 315 personnes en provenance d’Ukraine étaient placées auprès de 135 familles d’accueil. «Ce qui correspond à 78% des personnes accueillies», note le canton sur son site internet.

Mieux répartir les charges

Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreuses personnes ont pu trouver refuge chez des parents ou connaissances. Jusqu’à présent, le SEM attribuait à un canton tous les réfugiés qui pouvaient, lors de leur enregistrement, présenter une solution d’hébergement privé sur place. Du coup, des «cantons accueillent jusqu’à deux fois plus de personnes que prévu», pointe David Keller.

C’est le cas par exemple au Tessin, à Zurich, à Bâle, ou à Berne. Ce dernier fait état de quelque 5500 personnes répertoriées, soit un millier de plus que le quota assigné. Pour changer la donne, à partir de lundi, la clé de répartition habituelle, proportionnelle, sera de nouveau appliquée. Ce changement apportera «une certaine stabilité au système» et permettra de mieux répartir les charges sociales, d’écolage ou encore de cours de langue entre tous les cantons.

«Tous les cantons sont confrontés aujourd’hui à un défi colossal, constate le conseiller d’Etat vaudois Philippe Leuba. Nous devons faire preuve d’une solidarité cantonale pour gérer cette crise, mais j’attends aussi de la Confédération qu’elle facilite autant que possible notre travail, notamment en mettant à disposition les places d’armes qui ne sont pas utilisées.»

Des exceptions prévues

Les cantons veilleront à créer le moins de séparations possible. Ils sont prêts à devoir reprendre une partie des réfugiés hébergés par des privés, fait savoir Gaby Szöllösy, de la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales. Des exceptions seront prévues pour les familles nucléaires et les personnes vulnérables: un parent pourra être hébergé par son fils, un petit-enfant par ses grands-parents, ou encore un mineur non accompagné par son oncle ou sa tante. Et ce, même si le canton concerné a déjà accueilli plus de réfugiés que ne le prévoit son quota.

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Par contre, les souhaits des proches éloignés – comme les frères, sœurs, cousins ou cousines – ne pourront pas systématiquement être respectés. Une solution dans un canton voisin pourrait être proposée. Mais aucune promesse ne peut être faite. Il en sera de même pour les demandes de changement de canton.

Collaboration: Michel Guillaume