Qu’est-ce que la râpe du docteur Bircher, un crachoir de poche pour tuberculeux, une chaise roulante en osier et un chapeau blanc immaculé ont en commun? Tous ces objets, exposés au Musée national à Zurich, ont contribué dès la fin du XIXe siècle à forger l’image de la Suisse comme sanatorium de l’Europe. L’histoire de Heidi – et en particulier celle de la guérison de la petite paralytique Clara – résume à elle seule toutes les vertus que l’on a projetées sur la Suisse: le bon air, l’altitude, les produits naturels de la terre.

Sous le titre de «Montagnes magiques», la nouvelle exposition du Musée national présente quatre lieux en Suisse qui ont consacré cette réputation de paradis de la santé: la colonie d’artistes du Monte Verità à Ascona, la clinique du docteur Bircher-Benner sur les hauteurs de Zurich, les sanatoriums de Leysin et ceux de Davos, en particulier le Waldsanatorium qui a servi de modèle à Thomas Mann pour son Zauberberg. Des établissements qui sont autant de réponses à l’industrialisation et l’urbanisation du XIXe siècle. Et qui témoignent de la revalorisation des Alpes comme lieu de vie. En 200 ans, l’image de la Suisse a passé du réduit inhospitalier à celle d’un paradis préfigurant l’essor de l’industrie du tourisme.

Témoin de l’importance de Leysin, qui en 1930 comptait 3000 malades pour le double d’habitants, Hans Erni avait choisi la station vaudoise comme motif de sa fameuse fresque peinte pour l’exposition nationale de 1939. On retrouve le fragment dans la salle du musée, ainsi qu’un des rares chapeaux blancs à larges bords conservé. Leysin était un haut lieu de l’école au soleil, concept développé par le médecin Auguste Rollier au début du XXe siècle. L’idée était que le soleil a une action fortifiante sur tous les organes.

Dans la neige, des corps presque nus…

Un film qui vante les mérites de l’école en plein air laisse aujourd’hui perplexe: des enfants presque nus, portant seulement une espèce de couche-culotte, font de la gymnastique ou du ski dans un paysage enneigé sous un soleil tapant. Personne alors ne se souciait des risques de cancer de la peau.

On soignait la tuberculose sous toutes ses formes à Leysin, station d’altitude des plus réputées d’Europe, qui a accueilli au sommet de sa gloire Gandhi et Romain Rolland. Avant de décliner suite à la découverte de la pénicilline en 1948.

Cette évolution n’intéresse toutefois pas le Musée national. Qui se concentre sur un monde propre en ordre. Avec en filigrane, l’idée de discipline et de modération. Thomas Mann, hôte de la clinique zurichoise du docteur Max Bircher-Benner, parlait de «pénitencier hygiénique». L’inventeur du müesli n’en reste pas moins un pionnier de la médecine naturelle.

Les sanatoriums de Davos en revanche, représentés à Zurich par huit chaises longues d’origine de la Schatz­alp, étaient des lieux plus frivoles. La guérison de la tuberculose se faisait par osmose avec le bon air, mais viande, alcool et divertissements en tous genres avaient leur place dans la thérapie, au contraire du modèle ascétique de Zurich ou du Monte Verità.