Ma semaine suisse
OPINION. Ce refus de s’adapter aux nouvelles exigences éthiques de notre siècle et au besoin de transparence et de confiance dans le sérieux des contrôles se paie aujourd’hui, écrit notre chroniqueur Yves Petignat.
Fallait-il parler de blanchiment ou de blanchissage d’argent sale? Sous l’influence de l’allemand Geldwäscherei, les parlementaires suisses hésitaient encore, à la fin des années 1980, sur le terme précis à utiliser en français pour qualifier la dissimulation d’argent dans les banques suisses, après les scandales et les dégâts de réputation provoqués par les fonds du dictateur philippin Ferdinand Marcos (déjà à Credit Suisse), de la «Pizza Connection» et de la «Libanon Connection». Fallait-il parler d’une couche de blanc sur l’argent sale ou de grande lessiveuse? On aurait pu trancher comme le fit le billettiste du Monde Robert Escarpit, sous l’ère giscardienne, dans une de ces sortes de haïku qui faisaient alors nos délices: «Doit-on dire flottation ou flottaison du franc? Qu’importe puisqu’il coule.» Blanchiment ou blanchissage, qu’importe donc puisque la réputation et l’image de la Suisse n’en sortent ni blanches ni propres. On a vu à travers le monde ce qui reste des efforts des banques et du discours officiel pour réhabiliter la place financière suisse.
Depuis la publication des «Suisse Secrets» et de la liste des clients peu recommandables de Credit Suisse, la banque mise en cause, l’Association suisse des banquiers ou la Fondation Genève Place financière ont beau rappeler qu’il s’agit pour l’essentiel d’histoires anciennes, que des mesures importantes ont été prises ces dernières années, personne n’y croit à l’étranger. Dans la Südddeutsche Zeitung, le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz accuse même la Suisse officielle de duplicité: «La position de la Suisse, dont la loi sanctionne ceux qui tentent de percer son secret, semble de plus en plus double… Cette bombe montre que la Suisse tire bénéfice d’un flux d’argent en provenance des pays pauvres.»
Lire aussi: Les questions qui se posent après les «Suisse Secrets»
On peut bien sûr se réfugier derrière la thèse du complot des grandes places financières contre la petite Suisse. Mais cela ne change pas la réalité. Elle est là. C’est celle d’une image et d’une réputation d’un pays qui profite du crime et de la corruption. Et même cette semaine d’un pays opportuniste par sa position contorsionnée et piteuse face à l’agresseur russe en Ukraine. Comment répondre à cette accusation de Joseph Stiglitz, reprise par la presse internationale: en Suisse «la kleptocratie et la corruption peuvent donc continuer d’y prospérer…»? C’est injuste, mais c’est ainsi que les autres nous voient. Et cette vision fait mal à ceux qui aiment ce pays et ont des raisons d’en être fiers.
Ce qui devrait nous inquiéter
Présence Suisse et les millions investis dans les événements internationaux pour redresser l’image du pays ne servent donc à rien. Puisque ces efforts ne sont pas accompagnés d’une réelle volonté politique d’en finir avec la culture du laisser-faire, de l’autorégulation complaisante, de la Rosinenpickerei, du comportement égoïste et de cet attrait pour l’argent douteux. Ce qui devrait nous inquiéter, comme citoyennes et citoyens de ce pays, c’est moins l’origine des fuites que les conséquences de cette incapacité du Conseil fédéral et du parlement à agir autrement que sous la pression internationale et à n’appliquer que le strict minimum de ce que cette dernière exige. On a vu avec quelle facilité le lobby des avocats et autres conseillers fiscaux a permis à ceux-ci d’échapper aux exigences de la loi contre le blanchiment. Ce refus de s’adapter aux nouvelles exigences éthiques de notre siècle et au besoin de transparence et de confiance dans le sérieux des contrôles se paie aujourd’hui: l’affaire de Credit suisse se transforme en discrédit de la Suisse.
Lire aussi: Ce passé bancaire qui va toujours nous hanter