Le Suisse qui voulait mourir en martyr condamné à 18 mois avec sursis
Justice
Ahmed, 26 ans, comparaissait devant le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone pour avoir eu l’intention de rejoindre l’Etat islamique en Syrie. Selon ses dires il ne voulait pas «faire la guerre», mais «juste aider». Ce vendredi il a été condamné à 18 mois de prison avec sursis

Mise à jour, vendredi 15 juillet, 14h00.
Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a condamné vendredi Ahmed, ce Libano-Suisse de 26 ans à une peine de dix-huit mois de prison avec sursis. Le jeune homme avait été arrêté en avril 2015 en partance pour Istanbul. Il est reconnu coupable de violation de la loi fédérale interdisant Al-Qaïda et l'Etat islamique.
Influençable, limité, instable: portrait du Suisse qui voulait mourir en martyr (article publié jeudi 14 juillet)
Accusé d’avoir voulu rejoindre l'organisation Etat islamique au Proche-Orient, Ahmed, 26 ans, s'est soumis jeudi aux questions de la cour devant le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone. Ses déclarations, complétées par le témoignage d’un agent de la police cantonale zurichoise appelé en tant que témoin, dessinent le portrait d’un jeune homme très religieux, influençable et aux capacités intellectuelles limitées. Né en Suisse dans une famille libanaise modeste, aîné de six enfants, il a rencontré une série de déconvenues professionnelles avant de décider, un jour, de partir en Syrie. Le policier, mandaté pour suivre Ahmed dans le cadre d'un programme de prévention, décrit un jeune homme coopératif et peu enclin à la violence.
Selon le Ministère public de la Confédération (MPC), Ahmed est pourtant un apprenti djihadiste prêt à commettre des crimes. Le prévenu répond de violation de la loi fédérale de 2014 interdisant les groupes al-Qaida et Etat islamique et de soutien d’une organisation criminelle (Art. 260 ter du code pénal). Au coeur du procès, cette question: l’intention de partir combattre en Syrie suffit-elle à juger un individu coupable de soutien au terrorisme islamique?
«Je voulais aider»
Ahmed ne nie pas avoir voulu rejoindre «ses amis» de Winterthour, déjà là-bas. Mais, affirme-t-il, il n’avait aucune intention de blesser ou de tuer: il voulait apporter de l’aide humanitaire. Pourquoi a-t-il dit à sa copine vouloir «mourir en martyr»?, s’enquiert le juge. «J’ai toujours voulu mourir en martyr, depuis mon enfance. Cela ne signifie pas que je voulais faire la guerre», rétorque Ahmed. Tomber sous les bombes pendant qu’il viendrait en aide à des victimes de la guerre: voilà une fin qui lui paraissait désirable.
Lorsqu'il est est arrêté le 7 avril 2015 à l’aéroport de Zurich, avant de monter dans l’avion qui devait le mener à Istanbul, sa compagne est enceinte de deux mois. Il a 25 ans et beaucoup de frustrations. Après un parcours scolaire difficile, il entame un apprentissage de laqueur sur voiture. Employé tour à tour dans une entreprise de jardinage, une station-service, puis une société de chauffage et sanitaires, il ne garde jamais un travail longtemps.
La religion est centrale dans sa vie. Il fréquente la mosquée «chaque jour», dit-il. Avant son arrestation, il se rendait au centre An Nour, de Winterthour. Il ne dira pas si c’est là qu’il a rencontré pour la première fois les amis qu’il souhaitait rejoindre en Syrie. Ce lieu de culte est entré dans le viseur des autorités suisses depuis que plusieurs jeunes qui le fréquentaient ont décidé de prendre la route du djihad. Aujourd’hui, Ahmed n'y met plus les pieds, assure-t-il: «Je ne veux pas avoir de problèmes.»
«Il disait que la vie était meilleure»
Alors qu’il nourrit le souhait de rejoindre la Syrie, Ahmed entre en contact avec un homme nommé Hajan. D'après le MPC, il s'agit d'un membre de l'Etat islamique qui contrôle la frontière turco-syrienne et joue le rôle de passeur pour le compte de l'organisation.
- Saviez-vous ce qu’il faisait là-bas? demande le juge.
- Non, pas exactement. Mais il m’a dit que la vie était meilleure en Syrie, que les gens étaient plus sincères. Il avait une voiture, il était heureux.
- Vous aviez dû apprendre pourtant que ce pays est en guerre. N’avez-vous pas mis en doute ses propos?
- Cela ne compte pas lorsqu’on veut aider
Le jeune homme ne veut rien dire en revanche au sujet du matériel de propagande rédigés par des idéologues d’Al-Qaida, trouvés par les enquêteurs dans son portable. Comment explique-t-il la présence de vidéos de décapitation, de crucifixion ou de lapidation dans son téléphone? «Je n’ai jamais vu ces images. J’ai été choqué lorsque je les ai découvertes lors des interrogatoires», lâche-t-il.
«Posséder un ouvrage de Karl Marx ne fait pas de vous un communiste»
A en croire son avocat, Daniel Weber, qui réclame l'acquittement de son client, ces images se seraient trouvées dans ses affaires à son insu. Posséder des documents glorifiant le djihad ne fait pas de lui un terroriste, ajoute-t-il: «Si vous avez un ouvrage de Karl Marx dans votre bibliothèque, cela signifie-t-il que vous êtes communiste? Mon client avait bien l’intention d’aller en Syrie, mais ce n’était pas pour combattre. Il comptait rendre visite à des amis».
Aux yeux de la procureure du Ministère public de la Confédération, Juliette Noto, le fait qu'Ahmed ait établi des contacts avec des membres de l'Etat islamique en Syrie et préparé son voyage avec l'intention explicite de les rejoindre et de mourir en martyr traduit un «soutien psychologique» à cette organisation. Plus qu’une simple curiosité, le jeune homme a déployé une «énergie criminelle» conséquente pour se préparer à prendre part aux desseins de l’organisation terroriste, affirme-t-elle. L’accusation estime avoir à faire à un «cas emblématique» d'embrigadement: un jeune élève faible, des occasions professionnelles ratées, le cloisonnement dans un cercle d’amis musulmans partageant la même idéologie. Le MPC mentionne l’influence centrale de la «scène djihadiste de Winterthour» et de Valdet Gashi, champion de boxe et combattant auto-proclamé parti en Syrie: «Il a été préparé, physiquement et mentalement, au djihad».
La procureure pense pourtant que le jeune homme est sur la voie de la «déradicalisation». Ahmed ne veut plus partir en Syrie. Sans emploi, il habite à Winterthour, chez sa mère, avec sa femme et leur fils. La famille vit de l’aide sociale. Le jeune père est inscrit dans un programme d’insertion professionnelle et, ce qu’il souhaite désormais, c’est trouver un emploi et s’occuper de son fils. Aussi, l'accusation ne requiert pas de peine ferme, mais deux ans de prison avec sursis, assortie de trois années probatoires. Verdict ce vendredi.
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