A mesure qu’approche le 20e anniversaire de la votation fédérale sur l’Espace économique européen (EEE) du 6 décembre 1992 revient de plus en plus sur le devant de la scène la question des relations tumultueuses, parfois d’amour-haine, entre la Suisse et l’Europe de Bruxelles. Au point que notre pays se trouverait, rapporte la Tribune de Genève, «devant la même situation dangereuse qu’avant le vote sur l’EEE en 1992, a dit Christoph Blocher dimanche à Bienne, face à quelque 1500 personnes venues fêter cet échec historique pour le Conseil fédéral» ce dimanche.
Pour Swissinfo, on a affaire à «un vieux couple qui refuse de se marier»: vint ans plus tard, les trois experts que le site internet a interrogés «estiment que si l’on revotait sur l’EEE, ce serait toujours non, et même avec un score plus net. Il y a quelques jours, le sondage de l’Institut gfs.bern pour le compte de la SSR a bien montré cet euroscepticisme général qui domine entre Alpes et Jura.» Et qui a pris le visage caricatural de cette manifestation mise sur pied par l’UDC et de l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN): «Elle s’est déroulée dans le calme, sous la surveillance de la police, précise le site de Radio Fréquence Jura. Les coups de canon et les sonnailles de cloches ont célébré le vote […]. Puis […] l’ancien conseiller fédéral UDC a rappelé l’importance de protéger l’indépendance de la politique commerciale entre la Suisse et l’Europe. La fête s’est poursuivie dans une halle cantine, sur fond de musique folklorique.»
La sortie de Darbellay
Mais un peu auparavant, ce qui est très intéressant, «ce sont les réactions d’incompréhension, de rejet, voire d’hilarité» qu’a provoquées la récente sortie du bois du président du PDC suisse, Christophe Darbellay, avec cette inopinée volonté, comme le dit l’intéressé lui-même «de sortir du tabou qui empêche tout le monde de parler d’autre chose que des relations bilatérales».
Voilà ce que critique assez vertement le site Largeur.com, en écrivant que «peu importent finalement les farfelues raisons qui ont pu [le] pousser […] à proposer de revoter sur l’EEE – qui n’est pas l’acronyme d’une triple entourloupe. Le Valaisan propose d’ailleurs en échange d’abandonner toute demande d’adhésion à l’UE. Même son propre parti pourtant n’est pas bien sûr d’avoir compris, concédant tout juste que relancer l’idée d’une adhésion à l’Espace économique européen, vingt ans après son rejet d’un fil, cela aurait au moins le mérite de relancer «le débat sur l’Europe». Un peu comme proposer le rétablissement de la guillotine aurait le mérite de relancer le débat sur la peine de mort.»
Pendant ce temps, «le Conseil fédéral croit encore à la voie bilatérale», relève L’Agefi. Elle «reste la voie royale pour les Suisses en matière de politique européenne»: «C’est la seule à même de réunir une majorité de la population suisse», selon Didier Burkhalter, le ministre des Affaires étrangères, «elle contribue ainsi à la cohésion du pays, alors qu’une période d’instabilité très grande prévaut en Europe». «Au nom du Gouvernement, précise Coopération, le Neuchâtelois veut [ainsi] empêcher la relance du débat public.» En dépit du fait que «le Röstigraben de 1992 n’existe plus: même les Romands approuvent aujourd’hui ce rejet», relève Romandie.com.
Alors, un rapprochement avec Bruxelles, «ce ne serait pas le moment», poursuit Georges Plomb dans le journal coopératif: «Face à une UE tiède, l’Exécutif helvétique mise sur la poursuite d’accords bilatéraux (menacés de blocage). Il y défend une reprise non automatique du droit européen (avec contrôle suisse et autorité arbitrale). L’UE devrait répondre en décembre. Selon certains, elle sera dure. Selon d’autres, il y aurait de l’espoir», comme on a pu le lire dans la dernière NZZ am Sonntag et dans le reste de la presse dominicale alémanique. Mais quoi qu’il en soit, «plusieurs clignotants sont au rouge. Ueli Maurer, ministre UDC de la Défense et proche de Christoph Blocher, pourrait être élu président de la Confédération pour 2013. Ses détracteurs n’attendent de lui aucune impulsion européenne. Même sur les accords bilatéraux Suisse-UE, on lui prête des propos négatifs.»
L’élite et le peuple
Dans une opinion publiée vendredi dernier, le rédacteur en chef de la Weltwoche, Roger Köppel, a dénoncé dans Le Matin la proposition de Darbellay, arguant du fait que les pro-européens sont une «élite» qui dessert les intérêts du peuple. Mais est-ce un reproche qu’on a pu faire à Jacques Pilet, du temps où il était rédacteur en chef de L’Hebdo, puis du Nouveau Quotidien? Celui-ci répond à la Tribune de Genève: «C’est un reproche tout simplement ridicule. […] Cet argument anti-élite n’est qu’un vieux discours de l’extrême-droite.
«Il est vrai que le Conseil fédéral avait été la locomotive de l’EEE en 1992, alors qu’il a plutôt tendance à se prononcer une fois que l’opinion publique s’est formée sur un sujet. Mais à l’époque, les industries d’exportation avaient besoin de cet accord. Il faut comprendre qu’avec le rejet de l’EEE, la Suisse a connu une décennie difficile dans les années 1990, avec un retard de la croissance par rapport à ses voisins européens, une crise immobilière, une montée du chômage…»
Certes, la situation n’a pu s’améliorer qu’après la signature des accords bilatéraux, dans les années suivantes. Reste qu’aujourd’hui, ils semblent dans l’impasse.
La revue de presse