«Heureux vu tous les efforts qu’on a faits»
Installé à l’Hotel Bern dans la capitale fédérale, le Comité pour une loi sur les jeux d’argent a savouré sa victoire. Si les scores impressionnent, l’issue du scrutin ne faisait plus de doutes depuis longtemps. «Le peuple devait répondre à une question déjà posée en 2012, analyse le directeur de la Loterie Romande, Jean-Luc Moner-Banet. Il ne s’agissait que de la mise en œuvre d’un article constitutionnel sur lequel les Suisses s’étaient déjà prononcés de manière très favorable (87% de oui). Il aurait donc été étonnant que les arguments fallacieux déployés par nos adversaires leur fassent complètement changer d’avis.»L’ensemble des jeunesses partisanes suisses étaient opposées au projet de loi, qui prévoit le blocage des sites de jeu étrangers. «Ils ont réagi de façon instinctive, épidermique, dit Jean-Luc Moner-Banet. Mais ce n’est pas parce que l’activité est légale dans un pays qu’elle l’est aussi dans un autre. Le Conseil de l’Europe l’a encore dit récemment: l’important pour la réglementation du web, c’est là où se trouve le consommateur.» Ravi du résultat, le chef d’entreprise constate que les groupes étrangers qui ont soutenu la récolte de signatures ont déjà accepté la nouvelle réalité du marché suisse. «Environ 44% des actions du Casino de Davos ont été rachetées la semaine dernière par un opérateur belge lié à PokerStars. Les grands sites de jeu étrangers ont intégré le fait qu’ils avaient perdu et s’implantent en Suisse légalement», constate-t-il avec le sourire.
Le surprenant triomphe de la loi sur les jeux d'argent. Notre analyse. #CHvote pic.twitter.com/FDv1e6DRgd
— Le Temps (@LeTemps) 10 juin 2018
La défaite venimeuse
Dans les rangs des perdants du jour, le financement de la campagne du comité référendaire par des entreprises de jeu étrangères suscite quelques règlements de comptes. «Je ne sais même pas pourquoi nous partageons la même salle aujourd’hui», dit Bertil Munk, vice-président de la Jeunesse socialiste. Avec les Verts et le Parti pirate, le jeune politicien faisait partie de «l’autre comité» qui, malgré des positions similaires sur le fond, a toujours promu la transparence et dénoncé le recours à des fonds étrangers. «Nous sommes fâchés que le comité libertarien ait accepté ce financement, dit le jeune politicien. Cela a certainement contribué à cette très large défaite.»Quelques mètres plus loin, Thomas Juch rend les coups. Le responsable romand du comité formé par les Jeunesses PLR, vert’libérale et UDC met les points sur les i: «Soyons clairs, c’est notre comité qui a réussi à récolter assez de signatures pour faire aboutir un référendum, certainement pas les socialistes.» Le financement de la campagne n’a par ailleurs joué qu’un rôle marginal, dit-il; «en outre, je rappelle que la plupart des casinos suisses qui ont investi de l’argent pour le camp du non font également partie de groupes étrangers».
Je suis convaincu que l’Union européenne fera pression sur la Suisse pour qu’elle s’aligne sur les règles du marché unique et qu’il faudra à nouveau changer la loi dans quelques années
Thomas Juch, responsable romand du comité formé par les Jeunesses PLR, vert’libérale et UDC
S’il admet n’avoir pas réussi à transmettre efficacement son message aux votants, le libertarien fustige la proximité entre gouvernements cantonaux et Loterie Romande. «On peut parler d’une sorte de corruption», affirme-t-il. Il ne s’avoue toutefois pas complètement vaincu. «Je suis convaincu que l’Union européenne fera pression sur la Suisse pour qu’elle s’aligne sur les règles du marché unique et qu’il faudra à nouveau changer la loi dans quelques années, dit Thomas Juch. Nous avons donc perdu une bataille, mais pas forcément la guerre.»