La disparition des glaciers. Une image forte qui parle à la majorité des Suisses. Un bon symbole pour incarner le combat contre le CO2 également. En moins de cinq mois (le délai légal est de dix-huit), l’Association suisse pour la protection du climat a récolté plus de 125 000 signatures pour demander d’accélérer les réformes qui visent à réduire les gaz à effet de serre. Un cortège aux flambeaux (solaires) de 300 personnes ira déposer l’initiative «Pour les glaciers» à la Chancellerie fédérale en soirée.

Ce mardi, le Programme des Nations unies pour l’environnement rappelait encore à ses membres que «si nous n’agissons pas rapidement, la catastrophe climatique ne pourra plus être évitée». Or le climat se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne dans les régions alpines, souligne les initiants, qui exigent les mesures suivantes: interdire les énergies fossiles en Suisse dès 2050 (au plus tard) – et commencer à les réduire dès l’initiative acceptée – et ancrer dans la Constitution les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat (COP21), pour lequel la Suisse s’est déjà engagée.

Soutenue par la gauche, mais également par plusieurs politiciens de droite, la proposition lancée en début d’année a toutefois été rattrapée par l’actualité: le Conseil fédéral a annoncé cet été qu’il souhaitait lui aussi décarboniser le pays d’ici à 2050. Dès lors, l’initiative a-t-elle encore un sens?

Lire notre éditorial: Climat: au peuple de montrer la voie

Comme une fondue sans fromage

«Tout à fait, soutient le père fondateur du mouvement, Marcel Hänggi. S’il est positif que le gouvernement partage désormais notre objectif, il n’a pas encore formulé de plan concret qui indique de quelle manière il souhaite l’atteindre. A partir de quand les travaux commenceraient par exemple. Notre proposition demande, elle, clairement d’évoluer vers le zéro carbone de manière – au minimum – linéaire jusqu’à 2050. Cela assure une action immédiate.» Les réformes nécessaires concerneraient avant tout les bâtiments, les véhicules et l’industrie, mettent en avant les initiants, qui assurent que «l’effort demandé aux citoyens serait minime».

Au vu des derniers rapports scientifiques cataclysmiques, le mouvement des grévistes pour le climat considère toutefois que viser l’interdiction des gaz à effet de serre en 2050 est «mieux que rien, mais qu’il faudrait aller plus vite». L’initiative se révèle-t-elle trop timorée après une année riche en manifestations climatiques? «Il serait évidemment préférable d’atteindre cet objectif d’ici à 2030 ou 2040, concède Marcel Hänggi. Mais le plus important est de réduire vite et de manière notable les émissions nocives. Si nous réussissons à diminuer rapidement les volumes, nous pouvons nous laisser du temps pour arriver à zéro.» Soutenue par l’ensemble de la gauche, la proposition est également appuyée par une partie de la droite. Les sénateurs Stefan Engler (PDC/GR) et Ruedi Noser (PLR/ZH) lui ont ainsi apporté leur soutien. «L’initiative ne demande rien de plus que de respecter les engagements pris par la Suisse à Paris en 2015», souligne ce dernier.

Lire aussi: Martine Rebetez, climatologue: «Le Conseil fédéral fait preuve depuis trente ans d'une passivité inadmissible»

L’économie en danger

S’attaquer à ce rythme aux émissions de CO2 ne fait toutefois pas l’unanimité, loin de là. Du côté d’Avenergy par exemple, l’ancienne Union pétrolière suisse, l’initiative est perçue avec méfiance: «Cela coûtera cher à l’économie et à la population, indique son porte-parole, Daniel Schindler. De plus, le texte ne bénéficiera pas non plus au climat car les émissions de CO2 suisses ne représentent qu’un pour mille des émissions mondiales.» Et puis zéro gaz à effet de serre, c’est impossible, considère le conseiller national Pierre-André Page (UDC/FR): «On risque par ailleurs de devoir importer de l’énergie sale et de pénaliser les régions périphériques par des taxes.»

Si les initiants reconnaissent que la taille du pays ne lui confère en effet qu’un rôle marginal en matière de changement climatique, ils rappellent que ce n’est pas le cas de sa place financière. Or, soulignent-ils, celle-ci est également obligée par l'Accord de Paris, qui impose «l’harmonisation des flux financiers de sa place financière avec les objectifs de la politique climatique». Quant à une hausse des taxes, le comité souligne que l’initiative prévoit «l’acceptabilité sur le plan social» des mesures prises en vue d’atteindre l’objectif de réduction des gaz à effet de serre. En d’autres mots, ne pas faire trop mal au porte-monnaie des plus démunis. Et Marcel Hänggi de répéter: «L’initiative n’exige rien d’autre que ce pour quoi la Suisse s’est déjà engagée.» Si un bon contre-projet est formulé, ajoute-t-il, et au vu des intérêts convergents avec la nouvelle position du gouvernement, la proposition citoyenne pourrait en outre tout à fait être intégrée à la révision de la loi sur le CO2. Au nouveau parlement de se pencher sur la question.


Le débat du National reporté en mars 2020

Sa commission n’ayant pas eu le temps d’achever ses travaux, la Chambre du peuple s’attaquera à la loi sur le CO2 en mars 2020 seulement

Ce devait être le plat de résistance de la session de décembre du Conseil national: la révision totale de la loi sur le CO2, sur laquelle elle se penche de nouveau, un an après l’avoir enterrée à la suite d’une alliance contre nature entre l’UDC et la gauche. Mais sa Commission de l’environnement, la Ceate pour les initiés, n’a pas réussi à achever ses travaux. Ce lundi 25 novembre, alors qu’elle avait encore plusieurs dizaines d’amendements à traiter, elle a préféré passer le relais à celles et ceux qui ont été élus lors des dernières élections fédérales. Le débat en plénum est donc reporté en mars 2020.

Cette décision a le mérite de la cohérence. Désormais composée d’une majorité de centre gauche à la suite de la vague verte du 20 octobre dernier, la nouvelle commission pourrait légèrement durcir la version issue du Conseil des Etats. Comme lui, elle se dit favorable à ce que la Suisse mette en œuvre l’Accord de Paris sur le climat en prenant des mesures concrètes durant la prochaine décennie. Elle suit aussi la Chambre haute en approuvant une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 50% d’ici à 2030 par rapport à leur niveau de 1990.

Des mesures concernant les banques

Lors de sa dernière séance dans son actuelle composition, la Ceate a juste eu le temps de procéder à des auditions, puis d’élaborer une réglementation visant à réduire considérablement les émissions de CO2 générées par les bâtiments. Mais elle n’a pas pu traiter de sujets importants comme la taxe sur les billets d’avion et le fonds pour le climat par exemple.

Elle n’a pas non plus abordé un sujet que des mouvements citoyens comme les grévistes du climat ou Extinction Rebellion placent désormais au cœur de leurs revendications: des objectifs climatiques à fixer à la branche des banques et des assurances. Ainsi, la gauche réclame des mesures visant à ce que leurs investissements soient compatibles avec «un développement à faible émission de CO2 et résilient aux changements climatiques». Elle tient aussi à ce que la Confédération vérifie régulièrement l’atteinte de ces objectifs. Ironie de l’évolution de la composition des deux Chambres: si cette proposition a désormais des chances auprès d'un Conseil national plus progressiste, elle pourrait en revanche être enterrée par un Sénat désormais plus à droite. BB/MG