Interdire le vote électronique pendant au moins cinq ans: c’est ce que réclame le comité d’initiative qui s’est présenté vendredi à Berne. Cette mise à ban est justifiée par le fait que le scrutin numérique n’est pas jugé suffisamment sûr pour être utilisé en Suisse. Or, le Conseil fédéral et la Chancellerie envisagent de faire de l’e-voting le troisième canal d’expression de la démocratie directe, en plus du bulletin glissé dans l’urne et du vote par correspondance. Juste avant Noël, il a mis un projet en consultation jusqu’à fin avril.

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«De récents événements prouvent que la sécurité n’est pas garantie», martèle le conseiller national Franz Grüter (UDC/LU), président du comité de l’initiative populaire «Pour une démocratie sûre et digne de confiance (moratoire sur le vote électronique)». Il fait allusion à une attaque menée en novembre par le Chaos Computer Club (CCC) contre le système de scrutin en ligne du canton de Genève. Ce piratage visait à démontrer qu’il était possible de détourner un vote vers un faux serveur sans que l’électeur s’en rende compte. Il faut préciser que, en raison des coûts liés aux exigences de sécurité, Genève a décidé d’abandonner son système de vote en 2020.

Un comité multicolore

Le comité juge les risques trop élevés en l’état actuel. Son initiative demande d’interdire l’e-voting en Suisse. Elle précise cependant que le veto pourra être levé par l’Assemblée fédérale au bout de cinq ans, pour autant que les standards de sécurité soient équivalents au glissement d’un bulletin dans une urne. «Aucun membre de notre comité ne souhaite freiner le développement technologique. Au contraire, plusieurs d’entre nous sont issus du monde de l’informatique. Si, un jour, il s’avère possible de voter sans risque par voie électronique, nous serons les premiers à nous engager», assure Franz Grüter. Mais le niveau de sécurité ne sera sans doute jamais absolu, comme il ne l’est d’ailleurs pas pour le vote par correspondance, où des cas de captage de voix ont été identifiés en Suisse.

Le comité d’initiative est composé de 21 personnes venant d’horizons divers. S’y côtoient trois conseillers nationaux UDC, la présidente des Jeunes socialistes, Tamara Funiciello, le chef du groupe des Verts, Balthasar Glättli, un représentant du Parti pirate, des libéraux-radicaux, des Vert’libéraux et deux Romands, l’ancien conseiller national Jean Christophe Schwaab (PS/VD) et le municipal lausannois Pierre-Antoine Hildbrand (PLR).

«L’acte de convoquer le peuple n’est pas anodin. Cela ne peut se faire d’un simple clic comme on «aime» ou «partage» un article sur les réseaux sociaux. C’est un acte important, solennel. Certains pays, comme la France, ont renoncé au vote électronique pour leurs ressortissants domiciliés à l’étranger pour des raisons de sécurité», souligne Jean Christophe Schwaab. Pierre-Antoine Hildbrand, qui s’engage à titre personnel et dit avoir averti ses collègues de la municipalité de sa démarche, partage cet avis: «Comme libéral-radical sensible aux questions institutionnelles et comme officier de renseignement, je pense qu’on doit faire preuve de prudence.»

Suisses de l’étranger préoccupés

Lorsqu’il a mis son projet en consultation, le Conseil fédéral a annoncé qu’un «test d’intrusion» serait effectué pour tester la sécurité de l’instrument d’e-voting de La Poste, qui restera le seul disponible après le retrait du système genevois. Il a aussi assuré qu’il pourrait renoncer «si la consultation devait produire des résultats majoritairement négatifs». Franz Grüter n’y croit pas. C’est pour cela que l’initiative a été mise en route maintenant.

Le scrutin par ordinateur est une revendication de la «Cinquième Suisse». L’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) réclame cette prestation civique pour les 172 000 citoyens helvétiques inscrits dans un registre électoral mais établis dans un autre pays. Pour leur permettre de voter dans de meilleures conditions qu’aujourd’hui, Franz Grüter imagine plutôt de solliciter le réseau consulaire. «Nous ne sommes pas fermés à une telle idée. Mais il faut savoir ce que cela implique. Il faudrait changer toutes les lois cantonales sur les droits politiques. Et il n’y a pas de consulat suisse partout. Ainsi, les Suisses établis en Hongrie doivent se référer au consulat de Vienne. Ce que nous voulons, c’est que les Suisses de l’étranger puissent exercer leur droit de vote. Et nous avons toujours reconnu que la sécurité était une question fondamentale. Mais nous constatons que les experts eux-mêmes ne sont pas d’accord entre eux, certains estimant que la sécurité peut être garantie», déclare la directrice de l’OSE, Ariane Rustichelli.