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«Dans le système de santé suisse, 20% des actes sont superflus.» Jusqu’ici, c’était une supposition, mille fois répétée dans de nombreux rapports, mais contestée par les prestataires de soins, qui demandaient des preuves étayées scientifiquement. Pour la première fois, des économistes de la Haute Ecole de santé du canton de Zurich et du cabinet Infras, mandatés par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), se sont penchés sur la question. Ils confirment l’affirmation.

Après avoir fait la synthèse de près de 80 études suisses et internationales, ils concluent à «un potentiel d’efficience total entre 7,1 et 8,4 milliards de francs», soit entre 16 et 19% des prestations soumises à la loi sur l’assurance maladie (LAMal), qui se chiffrent à 45 milliards. Cela signifie qu’il serait possible d’économiser entre 850 et 1000 francs par personne et par année! Au minimum, est-on tenté d’ajouter. «Nous avons toujours été prudents dans nos calculs. Nos chiffres sont conservateurs», assure Simon Wieser, l’un des économistes de la santé qui ont conduit l’étude.

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Tous responsables

Celle-ci se base sur l’année de référence 2016. Ses conclusions sont connues de l’OFSP depuis près d’un an, mais elles n’ont été publiées sur son site que voici deux semaines, lorsque le conseiller fédéral Alain Berset a annoncé son deuxième paquet de mesures pour juguler l’explosion des coûts.

Les auteurs ont travaillé sur deux plans: le volume des actes et leur prix. En fonction des spécificités du système de santé suisse, ils ont défini huit catégories avec un potentiel d’amélioration, mais ils ont d’emblée renoncé à chiffrer deux d’entre elles par manque de données: la qualité insuffisante des soins et l’inefficience administrative.

On s’en doutait: la surmédicalisation est le grand mal dont souffre le système de santé suisse. L’étude pointe ses mauvais incitatifs et souligne le phénomène de l’«aléa moral», plus connu sous l’expression anglaise moral hazard. Il s’agit de la maximisation des intérêts individuels sans prise en compte des incidences sur ceux de la collectivité. Ici, tout le monde a une part de responsabilité. Aussi bien les assurés, qui se comportent dans le système de santé comme dans un libre-service, que les prestataires de soins, qui optimisent les capacités de leurs infrastructures pour augmenter leurs revenus. C’est de loin le domaine où le potentiel d’économies est le plus élevé: selon l’étude, il est possible d’économiser plus de 2 milliards de francs, notamment dans le secteur ambulatoire, où l’actuel tarif Tarmed est devenu complètement anachronique.

Dans cette série d’articles: Stefan Meierhans, surveillant des prix: «Notre système de santé conduit au gaspillage»

Le défi de la «médecine intelligente»

Toujours en ce qui concerne les volumes, l’étude prône l’adoption de la «médecine intelligente» (smarter medicine), dont le but est de généraliser les bonnes pratiques en renonçant aux actes dont l’utilité médicale est nulle ou presque. Elle pointe aussi les examens faits à double par manque de coordination des divers acteurs de la santé. Il y a là des économies possibles de 500 millions, respectivement 1 milliard de francs.

L’autre levier pour freiner la hausse des coûts, c’est le prix des prestations. L’étude pose ici la question des structures inadaptées, notamment des hôpitaux trop petits, à l’exclusion des structures universitaires comme le CHUV et les HUG. Jusqu’à présent, il reste très difficile de procéder à une comparaison entre les établissements efficients et ceux qui ne le sont pas, car seuls 15 des 26 cantons ont fourni leurs données à l’OFSP. Pour fixer les forfaits par prestation (tarif DRG), l’étude propose de placer la barre au niveau du 30e hôpital le plus efficient sur 100. Le surveillant des prix, Stefan Meierhans, est plus strict et recommande de s’orienter sur la 20e position. Que ce soit pour les hôpitaux régionaux de soins aigus ou pour les EMS, les économies possibles se chiffrent toujours en centaines de millions de francs.

Les dernières mesures présentées en août 2020 (qui consternent les médecins): Alain Berset face à la crainte d’une «médecine étatique»

Des réformes politiquement taboues

Les auteurs de l’étude abordent enfin la question de l’introduction du prix de référence des génériques, deux fois plus chers en Suisse qu’en Europe. Pour l’année 2016, ils ont estimé qu’en substituant systématiquement un médicament original par le générique le meilleur marché, on économiserait 490 millions de francs. Etudiée actuellement par la commission du Conseil national, cette réforme suscite une forte opposition des divers acteurs de la santé, de sorte qu’il est peu probable qu’elle soit adoptée au plénum.

C’est à la fois la force et la faiblesse de cette étude. Elle a le mérite d’identifier les points sensibles, mais les réformes qui en découlent, bien qu’évidentes pour les spécialistes, se heurtent à de fortes résistances politiques. Ainsi, elle calcule le potentiel d’efficience à près de 2 milliards de francs en cas de hausse de la franchise de 300 à 500 francs, cela alors que juste avant les dernières élections fédérales le parlement a renoncé à une augmentation beaucoup plus modeste, soit de 50 francs. Outre l’introduction du prix de référence sur les génériques, elle suggère aussi d’obliger les malades à passer par un médecin généraliste ou un cabinet HMO avant de consulter un spécialiste. Une mesure qu’Alain Berset a d’ailleurs retenue, mais qui est d’ores et déjà très controversée car elle réduit la liberté de choix de l’assuré.

«Beaucoup des mesures proposées sont effectivement taboues, qu’elles soient bonnes ou mauvaises d’ailleurs», relève le spécialiste de la santé Felix Schneuwly, de Comparis.ch. Mais celui-ci évite tout pessimisme: «Il y a dans la LAMal suffisamment d’éléments pour supprimer les mauvais incitatifs et inciter les assurés à choisir des modèles d’assurance récompensant les bons comportements.»