Le système d’arrêt des trains en pleine mue

Sécurité L’accident de Granges-Marnand relance le débat sur le contrôle des trains. Les systèmes Signum et ZUB jugés «en fin de vie» seront remplacés

L’Office fédéral des transports rappelle les mesures pour éviter les collisions

Le tragique accident de Granges-près-Marnand rouvre le débat sur la qualité des systèmes de contrôle des trains. La gare broyarde est équipée du plus basique des trois systèmes de freinage en vigueur en Suisse. Il se nomme Signum et date des années 30. Il lance un avertissement si le signal principal qui suit le signal avancé est au rouge et déclenche un arrêt d’urgence s’il est franchi malgré tout. Mais Signum ne permet pas toujours d’éviter l’obstacle. Il est considéré comme vétuste et l’Office fédéral des transports (OFT) a lancé il y a plus de dix ans un programme de «migration» vers un système de contrôle des trains plus performant.

Signum est en de nombreux endroits renforcé par un second dispositif nommé ZUB (de l’allemand Zugbeeinflussung, que l’on peut traduire par «influence exercée sur le train»). ZUB agit dès le passage du signal avancé et provoque l’arrêt d’urgence si la vitesse est trop élevée à ce moment-là. Avec ZUB, le train peut être arrêté avant le feu rouge.

L’audit du réseau ferroviaire publié en 2010 porte un jugement sévère sur ce dispositif. «D’un point de vue technologique, l’ensemble du système ZUB/Signum est perçu comme étant en fin de vie. Il doit être entièrement remplacé», a-t-on pu lire au moment de la publication de cette expertise. L’affaire est sérieuse, car, selon l’OFT, 14 000 signaux du réseau sont équipés du système Signum. Le constat est ainsi sans appel: les systèmes de contrôle des trains doivent être modernisés et rendus plus sûrs.

Le constat est une chose. Le remplacement des installations jugées dépassées en est une autre. L’entretien du réseau a longtemps été relégué au second plan au profit de son développement. «Le besoin de rattrapage est reconnu. Mais, au niveau de la Confédération, les programmes d’entretien du réseau ont souvent fait les frais des discussions budgétaires», regrette l’ancien conseiller aux Etats Michel Béguelin, expert en matière de chemin de fer.

On a cependant fini par prendre conscience, malheureusement trop tard pour éviter l’accident de Granges-près-Marnand, de la nécessité d’investir dans le renouvellement des installations de contrôle des trains. La stratégie de l’OFT combine des mesures à moyen et long terme. Au début des années 2000, la panacée portait le nom de «European Train Control System» (ETCS). On s’est cependant rendu compte que la mise en œuvre de ce gendarme technologique prendrait du temps et coûterait beaucoup d’argent.

L’ETCS existe en deux versions. La première vise à remplacer les anciennes installations de signalisation Signum et ZUB par des balises ETCS 1 qui transmettront en cabine les informations dont le mécanicien a besoin pour circuler (vitesse, détails du tronçon). Un programme de 300 millions est prévu à cette fin. 11 000 installations ETCS sont ainsi prévues sur le réseau à titre transitoire. En parallèle, 50 millions seront débloqués pour compléter 1700 installations Signum par un enregistreur de vitesse permettant d’arrêter un convoi avant le franchissement d’un feu rouge. Ces travaux sont échelonnés jusqu’à 2020. 4900 signaux seront ainsi équipés d’un radar surveillant la vitesse.

Toutefois, l’avenir c’est l’ETCS 2, appelé à devenir un standard européen. Avec l’ETCS 2, les signaux ne sont plus nécessaires le long de la voie. Les trains peuvent circuler à 160 km/h à intervalle de deux minutes. Tout est géré par radiobalises. La mise en place de ce procédé complexe se fera au gré du remplacement des postes d’enclenchement.

Pour que l’ETCS fonctionne, il est impératif que les locomotives reçoivent les messages envoyés par les balises. Dans un premier temps, 480 des 1700 véhicules des CFF ont été adaptés. Il s’agit de ceux qui circulent sur les grandes lignes ou qui transportent des marchandises. Ils peuvent ainsi circuler sans difficulté sur les trois axes qui sont déjà passés à l’ETCS 2: le tunnel du Lötschberg, Mattstetten-Rothrist (entre Berne et Olten) et Soleure-Wanzwil (entre Soleure et Olten). La ligne Lausanne-Simplon (mais sans la gare de Lausanne elle-même, promise à un méga chantier qui durera plusieurs années) sera en principe équipée d’ici à 2015 et le nouveau tunnel de base du Gothard suivra à fin 2016.

Dans son plan d’action, l’OFT a prévu d’équiper la totalité du réseau de l’ETCS 2 d’ici à 2035. Dans la presse dominicale, le patron des CFF, Andreas Meyer, conscient du coût de l’opération qu’il estime à 2 milliards, a exprimé le souhait que cela se fasse le plus vite possible. Dans la NZZ am Sonntag, le directeur de l’OFT, Peter Füglistaler, a cependant douché cet espoir. Il considère que, s’il fonctionne bien pour les vitesses élevées, l’ETCS 2 n’est pas mûr pour «des nœuds comportant de nombreux aiguillages, comme les grandes gares» et que ce mode d’arrêt automatique des trains «ne peut pas être ­introduit à court terme dans l’ensemble du pays».

Michel Béguelin acquiesce. «ETCS 2 a toutes les qualités pour contrôler les trains au-delà d’une vitesse de 160 km/h. Il garantit l’automatisme de la sécurité. Il laisse une marge de manœuvre au mécanicien, mais arrête le train s’il n’a pas le comportement adéquat au passage d’une balise. Mais ce système de conduite n’a pas de sens dans une gare», diagnostique-t-il.

Ces changements sont ainsi de la musique d’avenir. Mais comment prévenir à court terme une tragédie telle que celle de la Broye? Michel Béguelin déplore deux choses. D’une part, il n’y a plus d’agents en gare pour donner le signal du départ au train. C’est d’autant plus regrettable dans le cas de la semaine dernière que la plupart des croisements s’effectuent à Moudon. Seuls quatre croisements se font les jours ouvrables à la hauteur de Granges-près-Marnand, ce qui accroît le risque d’erreur humaine.

D’autre part, il regrette la suppression des culs-de-sac de sécurité, vers lesquels on peut envoyer un convoi qui ne respecterait pas un feu rouge. Interrogé à ce sujet, l’OFT rappelle les directives en vigueur contre les collisions de trains «avec des convois freinant trop tard ou des véhicules ferroviaires en dérive». Des «aiguilles de protection», des «moyens de déraillement», des «distances de glissement» ou des systèmes de contrôle de la marche des trains (Signum, ZUB et ETCS en sont) doivent être prévus afin de limiter «dans des proportions acceptables» les risques de collision.

L’OFT ajoute que les entreprises, CFF ou autres, «sont libres» d’ajouter, dans leur analyse des risques, des voies de sécurité. Il rappelle qu’il existe «des possibilités plus efficaces telles que des systèmes de contrôle des trains modernes permettant d’éviter le franchissement d’un signal d’arrêt». L’enquête dira si le dispositif disponible à Granges-près-Marnand respectait ces principes.

Le système Signum est impliqué dans la collision de deux trains marchandises en février à Bâle. C’est la conclusion d’un rapport du Service d’enquête suisse sur les accidents. L’incident qui n’avait pas fait de victime aurait pu être évité avec un système de sécurité plus récent. (ATS)

«Des systèmesde contrôle modernes permettent d’éviterle franchissement

d’un signal d’arrêt»