Par temps de Covid, les pouvoirs controversés du Conseil fédéral
Sortie de crise
Le Conseil fédéral veut prolonger certaines mesures urgentes dans le cadre d’une loi Covid-19. Le principe n’est pas contesté, mais le contenu de la loi promet d’être âprement discuté

Pendant le semi-confinement, le Conseil fédéral a largement fait usage du droit d’urgence, comme le lui permettent la Constitution et la loi sur les épidémies en cas de «situation extraordinaire». Disposant des pleins pouvoirs depuis la mi-mars, il a ainsi promulgué plusieurs ordonnances, dont il a souvent modifié la teneur afin de faire face à la crise du coronavirus.
Les mesures contenues dans ces textes ont cependant une durée de vie limitée: elles sont caduques au bout de six mois. Sauf si, entre-temps, le Conseil fédéral et le parlement acceptent de les prolonger dans le cadre d’une loi.
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Le gouvernement a ainsi présenté en juin un projet de loi Covid-19, qui vise à prolonger une partie de ces mesures extraordinaires. C’est une manière de conserver la main sur certaines dispositions. Les Chambres doivent approuver cette loi en septembre. Mais la discussion est déjà vive, car la loi Covid-19 pose la question de la délimitation des compétences du Conseil fédéral par rapport à celles des cantons, notamment. Elle touche à de très nombreux domaines: capacités sanitaires, protection des travailleurs, procédures d’asile, justice, assemblées de sociétés, aides à la culture et aux médias, perte de gain, assurance chômage. La liste est longue. Les compétences en matière d’approvisionnement en produits thérapeutiques donneront encore lieu à des discussions.
Eviter de répéter l’épisode d’Al-Qaida
Le droit d’urgence tel que l’a pratiqué le Conseil fédéral a fait l’objet de plusieurs analyses juridiques. Ses limites sont communément admises. Trois experts de l’Université de Zurich, Felix Uhlmann, Florian Brunner et Martin Wilhelm, ont relevé que les ordonnances urgentes du Conseil fédéral allaient «beaucoup plus loin» que toutes celles que le Conseil fédéral avait prises précédemment sur la disposition constitutionnelle qui lui permet de prendre des mesures urgentes afin d’assurer la sécurité du pays. Ce trio de juristes juge indispensable de sortir rapidement du droit d’urgence et de restaurer les droits du parlement. Il faut éviter de répéter ce qui s’était passé avec l’interdiction d’Al-Qaida et de l’Etat islamique, une décision qui a reposé pendant dix ans sur le droit d’urgence.
Le projet du Conseil fédéral a fait l’objet d’une consultation rapide en juillet. Il a reçu un accueil mitigé. Des grands partis politiques, un seul, le PDC, l’a accepté sans réserve alors que le PLR, l’UDC et le PS l’ont rejeté. Si 14 cantons ont approuvé le principe de la loi Covid-19, 11 autres ont émis des réserves. Celles-ci portent notamment sur l’ampleur de la prolongation des pouvoirs extraordinaires que le Conseil fédéral s’est octroyés pendant la pandémie. C’est le motif de l’opposition de l’UDC.
Pourquoi deux ans de validité?
La durée de validité de la loi Covid-19 a été particulièrement contestée. Le Conseil fédéral voulait qu’elle reste en vigueur jusqu’à fin 2022. La résistance a été si forte qu’il a dû céder et limiter sa validité au 31 décembre 2021. «Nous sommes satisfaits que la durée ait été divisée par deux. Nous ne voulions pas que cette loi reste en vigueur plus qu’une année», argumente le vice-président du PLR, Andrea Caroni.
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Un autre sujet de controverse est le droit de regard des cantons et des partenaires sociaux sur les mesures prévues dans la loi. Le Conseil fédéral reconnaissait aux cantons un simple droit à être «consultés». Ceux-ci ont vivement réagi. Ils ont obtenu du Conseil fédéral qu’ils soient «associés» aux décisions à venir. Mais que signifie exactement «associer»? Andrea Caroni, qui préside la Commission des institutions politiques (CIP) du Conseil des Etats, estime que cela doit être clarifié.
Colère des partenaires sociaux
Quant aux partenaires sociaux, ils ont fait chou blanc. L’Union syndicale suisse (USS), Travail.Suisse et l’Union suisse des arts et métiers (USAM) exigent eux aussi un droit de regard sur les décisions que le Conseil fédéral prendra sur la base de la loi Covid-19. Le Conseil fédéral promet de les consulter «dans la mesure du possible» mais il estime qu’ils ne jouent pas le même rôle que les cantons dans la lutte contre les épidémies.
Président de l’USS, Pierre-Yves Maillard (PS/VD) est fâché. «Les partenaires sociaux ont été très actifs dès le début du confinement. Ils ont été les premiers à demander l’organisation de tables rondes pour discuter des conséquences économiques et sociales de la crise. Ils ont souvent été entendus. La loi Covid-19 doit aussi intégrer les dimensions socioéconomiques et, donc, les partenaires sociaux. Lors de la consultation, nous avons fait de nombreuses propositions sur la protection de la santé au travail, la protection des travailleurs étrangers, le renforcement du pouvoir d’achat. Très peu ont été retenues», argumente-t-il.
Le projet de loi sera discuté en septembre par les Chambres fédérales. Il est actuellement examiné par une dizaine de commissions. Certaines ont déjà fait part de leurs remarques. Les deux CIP demandent que l’on délimite plus clairement la marge de manœuvre du Conseil fédéral et que les commissions parlementaires soient aussi associées aux décisions. C’est au sein des deux Commissions de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) que les débats s’annoncent les plus vifs. Pierre-Yves Maillard promet d’y faire entendre sa voix dès cette fin de semaine.