Alors que les poulets muselés mis à l'affiche par l'ASIN viennent de sauver leur tête avec le net refus de l'initiative «Oui à l'Europe !», qui risque de perdre des plumes au lendemain d'une campagne très médiatisée ? Dans les cantons romands, où une très large majorité des partis et des autorités appelait à voter oui, l'échec à entraîner les électeurs est mis au débit de l'ensemble de la classe politique et des médias.

La presque totalité des appareils ayant soutenu l'initiative, ceux qui se sont profilés en sa faveur ne devraient guère être pénalisés, notent ainsi les responsables des partis politiques vaudois désavoués. L'absence de passion dans la campagne est également relevée: il sera plus facile de passer à autre chose. Seule dans ce canton à avoir dit non, l'UDC espère toutefois en recueillir les fruits dans un an, lors des élections cantonales. «Avec un décalage pareil, les autres partis devront mener leur débat interne», souligne le président Guy Parmelin.

Davantage que sur le plan cantonal, c'est au niveau des partis suisses que les leaders politiques romands doivent s'attendre à perdre du crédit, à être davantage marginalisés, même si aucune tête ne va rouler. La NZZ, organe officieux des radicaux zurichois, lance son avertissement aux conseillers nationaux Yves Christen, Marc Suter et Lili Nabholz: «Cette victoire est aussi celle du Parti radical, hélas atténuée par le rôle de quelques personnalités en faveur du oui.»

Au PDC, les conseillers nationaux Jean-Philippe Maitre et François Lachat pourraient voir fondre leur influence. Leurs fonctions dans la direction du parti ne sont pas menacées. Mais la base et les sections alémaniques, très travaillées par le président Adalbert Durrer, ne leur pardonneront guère d'avoir entraîné leur parti dans le camp des perdants. Le syndicaliste Jean-Claude Rennwald, qui s'est battu pour entraîner les syndicats dans le sillage du oui, se retrouvera lui aussi dans une position difficile, aux côtés de Christiane Brunner. Tenter de faire avaler une forte hausse de la TVA comme prix de l'adhésion est un exercice qui laissera des traces dans l'organisation syndicale.

Voit-on émerger, avec le vote de dimanche, une nouvelle génération eurosceptique voire europhobe dans la classe politique romande? Les responsables de parti interrogés par Le Temps s'attendent bel et bien à ce que ces courants s'expriment plus fortement, leurs complexes étant tombés. Mais c'est un effet qu'il est très difficile de mesurer et sur lequel on ne peut pas mettre de noms. La campagne a fait connaître peu de têtes nouvelles, contrairement à 1992, où les Véronique Pürro, François Cherix ou Roger Nordmann avaient fait une apparition remarquée.

Opposants vétérans

Côté non, Nicolas Deiss, «le frère», s'est fait un prénom. Côté non, le banquier genevois Bénédict Hentsch, très impliqué dans le projet de fusion Vaud-Genève, a livré son premier combat national. Mais les opposants étaient souvent des vétérans, comme le radical neuchâtelois Claude Frey. A Lausanne, tandis que le radical Francis Thévoz a empêché la municipalité de soutenir officiellement l'initiative, le syndic socialiste Jean-Jacques Schilt s'est affiché sur les murs de la ville pour le oui. La question européenne ne devrait toutefois guère influencer le combat pour la syndicature de l'automne prochain. Dans le Jura, le président du groupe libéral-radical Alain Schweingruber dénonce les cinq membres du gouvernement qui ont prouvé qu'ils étaient «déconnectés de la réalité». Mais il n'imagine pas pour autant que le fait d'avoir défendu le non fasse émerger des personnalités.

Si l'on ne trouve guère de nouvelles têtes personnifiant le rejet massif de dimanche, il ne sera plus possible d'identifier, comme on l'a volontiers et trop facilement fait jusqu'ici, les europhiles aux jeunes. Les Jeunesses libérales vaudoises, tout comme les radicales de Fribourg-Ville, ont dit non. Charles Geninasca, l'un des représentants de l'ASIN en Suisse romande, prédit du reste que les jeunes, «que l'on a négligés durant la campagne» vont provoquer l'apparition de mouvements reprenant les thèmes de son association.