La tentation de fermer la porte derrière soi

Votation Le regard de deux politologues sur le vote favorable de certains immigrés à l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse»

Trois Suisses naturalisés, ou sur le point de l’être, expliquent pourquoi ils ont voté oui à l’initiative de l’UDC «contre l’immigration». Si leur témoignage a valeur d’anecdote au ­regard des motivations multiples du vote, il fait surgir en filigrane cette question: le vote du 9 février est-il xénophobe? Pour le politiste Philippe Gottraux, l’initiative et la campagne de l’UDC s’inscrivent dans une logique xénophobe, en désignant les immigrés comme source des problèmes que rencontre la Suisse, tout en entretenant volontairement le flou. «Derrière l’immigration, chacun reconnaît son bouc émissaire: le musulman qui veut islamiser la Suisse, le frontalier, l’Européen qualifié qui fait concurrence sur le marché de l’emploi, le délinquant. Avoir un passé d’immigré ne prémunit pas de la xénophobie.» Pour autant, ajoute le chercheur, le vote ne s’explique pas uniquement par des crispations xénophobes. Autre hypothèse possible, l’impératif d’intégration: «L’obtention de la citoyenneté suisse est un acte de volonté. Une personne passant par un processus de naturalisation peut développer une sur­adaptation à ce que certains considèrent comme un bon Suisse.»

Le cas des secondos

Oliver Strijbis, politologue à ­l’Université de Hambourg, s’est ­penché sur le vote des immigrés de la deuxième génération lors des élections fédérales de 2011. Le sondage Swiss Electoral Studies Selects intégrait pour la première fois cette année-là le lieu de naissance des parents, ce qui a permis de se pencher sur le comportement de vote des secondos, qu’ils soient naturalisés ou nés avec le passeport suisse. «Le vote anti-immigrés des immigrés est un mythe, affirme Oliver Strijbis. Il existe, mais il n’y a pas de tendance dans ce sens.»

Le sociologue observe que les votants possédant des origines dans les zones géographiques les plus stigmatisées par les campagnes de l’UDC – ex-Yougoslavie, Moyen-Orient ou Afrique – votent au contraire plutôt à gauche. Ceux qui viennent des pays voisins – Allemagne, France, Italie, Espagne – ne votent pas différemment de la majorité de la population, souligne-t-il, même si «on pourrait s’attendre à ce qu’ils se sentent plus concernés par les campagnes anti-étrangers.»

La campagne de l’UDC «Contre l’immigration de masse», ajoute Oliver Strijbis, se distingue des campagnes anti-étrangers classiques de l’UDC, qui ont tendance à stigmatiser les requérants d’asile et les musulmans. «Cette, fois, elle a amené des arguments plus politiquement corrects en mettant l’accent sur le manque d’infrastructures. Il s’agissait moins de dire «je suis contre ces étrangers» que «il y a trop de monde.»