Devant la justice

Elles ont en commun un âge respectable – 80 et 87 ans – ainsi qu’une douloureuse expérience. Durant l’hiver 2012, toutes deux ont été agressées à leur domicile par des brigands armés en quête d’or et d’argent. «Sur le moment, j’ai eu très peur», a expliqué l’une des vieilles dames au procès des trois multirécidivistes impliqués à des degrés divers dans ces brutales intrusions nocturnes. La seconde victime a eu aussi très mal. Pour l’avoir frappée au visage, saisie par le cou, ligotée, bâillonnée et abandonnée dans sa baignoire, en fermant toutes les portes à clé et en acceptant le risque qu’elle y meure, deux des prévenus doivent répondre de tentative d’assassinat.

Le procureur général Olivier Jornot est venu en personne pour soutenir l’accusation devant le Tribunal criminel de Genève. Une affaire emblématique pour le patron du Ministère public, bien décidé à combattre la dérive de délinquants en situation irrégulière et habitués des séjours en prison. Le survol du parcours chaotique de ce trio par la présidente de la cour, Isabelle Cuendet, est à ce titre édifiant.

Samir*, 26 ans, né au Maroc, une scolarité écourtée, est arrivé en Europe par bateau, caché dans un container. Un premier séjour en Italie le familiarise avec la boisson, les sorties, les arrestations et les foyers pour mineurs. En Suisse, sa situation ne s’améliore guère. Sans travail mais porté sur les médicaments et la cocaïne, il multiplie les vols pour s’acheter de la drogue. Son casier judiciaire compte déjà huit condamnations. Il a également subi une agression au sabre quelques mois avant ces faits, et pour laquelle d’autres désœuvrés ont été jugés.

Son compatriote Karim*, 26 ans lui aussi, n’a pas fait beaucoup mieux. Venu à Genève à l’adolescence pour faire des études et habiter chez sa tante, il se spécialise surtout dans la délinquance. «Depuis 2005, vous ne faites que commettre des infractions», relève la présidente. Il a déjà 14 condamnations à son actif, cinq années passées derrière les barreaux, et un petit garçon de 2 ans qui doit lui rendre visite en prison.

Malik*, 38 ans, est Algérien, mécanicien, dépressif et pas très intelligent. Depuis son départ pour l’Italie et la Suisse, ce requérant d’asile a également multiplié les condamnations. Ce dernier, défendu par Me Nicola Meier, n’est pas impliqué dans la tentative d’assassinat mais admet avoir pénétré, le 19 janvier 2012, en compagnie de Samir, dans ce petit appartement de plain-pied, à l’avenue Pictet-de-Rochemont, où vit une «vieille Anglaise».

Malik affirme que ce n’était pas son idée et qu’il n’a jamais tenu un couteau, ni même su que l’arme allait être sortie à cette occasion. Il pensait participer à un simple cambriolage. Samir, défendu par Me Romain Jordan, affirme tout le contraire, fait porter le chapeau de la menace à son comparse et jure qu’il dit toute la vérité. «Arrêtez de prétendre que vous dites la vérité, car vous avez déjà changé au moins quinze fois de version», s’énerve la présidente.

La victime de cette violente visite, qui met clairement en cause Samir, n’oubliera pas cette nuit. «J’ai ouvert les yeux et j’ai vu un monsieur avec un couteau. Il me l’a mis sous la gorge et a exigé mon or, et ensuite mon code bancaire. Il fallait faire ce qu’il me demandait.» Déterminée à assister à toute l’audience avec sa canne à la main et son béret sur la tête, elle précise encore: «J’ai beaucoup prié pour qu’il ne prenne pas tout, car c’était l’argent du loyer. J’étais soulagée lorsqu’il m’a promis de ne retirer que 400 francs.» En fait, le compte sera débité de 5000 francs. La victime, qui se dit remise de cette mésaventure, ne réclame aucun tort moral.

Encore bien plus malmenée, l’autre octogénaire de cette affaire désigne sans hésitation Samir comme étant son bourreau. Ce 18 février, dit-elle, il a sonné à la porte de son petit appartement de Chêne-Bourg. «Je n’ai rien vu par le judas et j’ai ouvert. Je me suis retrouvée devant ce monsieur et j’ai tout de suite compris qu’il y avait quelque chose de pas très catholique. Je lui ai dit: fichez le camp où j’appelle la police.» Repoussée violemment à l’intérieur, la victime raconte avoir reçu un premier coup dans l’œil. Violent. «J’ai encore mal à cet endroit.»

Sous la menace d’un couteau, jetée sur le lit, le visage enfoncé dans le duvet, menacée de mort, étranglée, la vieille dame est contrainte de remettre ses bijoux. «Il a même forcé pour retirer mon alliance, que j’avais nouée avec celle de mon défunt mari. Je ne lui pardonnerai jamais de me l’avoir prise.» Trouvant encore le courage de lui dire qu’il fait un sale métier, elle est entraînée dans la salle de bains et attachée. «Il m’a aussi mis quelque chose dans la bouche pour m’empêcher de crier.» En partant, l’agresseur a lancé qu’il reviendra lui faire sa fête si le code bancaire n’est pas le bon. «Cinq fois, j’ai cru mourir», ajoute-t-elle en évoquant des peurs encore bien présentes.

Malgré le volume de la télévision et son bâillon, l’octogénaire parvient à crier assez fort pour alerter un voisin. Ce dernier réussit à ouvrir les portes, à sortir cette petite dame tremblante de la baignoire, à appeler l’ambulance et la police. Samir et Karim – la victime n’a pas vu ce dernier chez elle, mais elle a entendu le brigand parler trois fois au téléphone –, seront arrêtés le même soir aux abords d’un bancomat des Eaux-Vives. Une interpellation mouvementée, qui se soldera pour l’un des policiers par une blessure au poignet.

«Qui a eu l’idée d’agresser cette dame?» demande la présidente. Samir assure que c’est Karim qui a repéré cette cible facile. Ce dernier, défendu par Me Corinne Arpin, avait emménagé tout près et avait vue sur sa cuisine. «Il m’a montré l’appartement, m’a donné des gants, un bonnet et le couteau, car je voulais quelque chose pour me défendre. Ensuite, il est resté dehors pour surveiller.» Samir ajoute que son acolyte était au courant de tout. «Je n’ai fait qu’exécuter ses ordres, car Karim ne voulait pas être vu.»

«J’ai honte, je regrette tout ça et je pleure chaque jour en y repensant», ajoute Samir, sans avoir l’air de convaincre. «Vous vous en étiez pris à une autre personne âgée un mois auparavant», lui rappelle la présidente. «C’était la faute des médicaments et de la drogue.» De son côté, Karim assure que «c’est tout faux». A part avoir remis un couteau à ce compatriote qui se disait menacé, et même s’il est resté tout ce temps dans les parages, qu’il est reparti en bus avec Samir et qu’il a été arrêté en sa compagnie, le prévenu assure n’avoir rien comploté et rien su du cauchemar infligé à l’aînée. «Dites-nous au moins quelque chose qu’on pourrait croire», s’emporte la cour. Des témoins seront entendus mardi, avant le réquisitoire du procureur général.

* Prénoms fictifs.

«J’ai ouvert les yeux et j’ai vu un monsieur avec un couteau. Il me l’a mis sous la gorge et a exigé mon or»