Sécurité
Deux réformes parlementaires visent à détecter et réprimer de manière plus efficace les membres d'organisations criminelles. Leur contenu agite certaines instances de défenses des droits de l'homme, qui les jugent exagérément répressives

Le Conseil fédéral veut muscler les lois antiterroristes helvétiques et la communauté internationale s’en inquiète. La mise en œuvre, jugée problématique, de la Convention pour la prévention du terrorisme du Conseil de l’Europe et un nouveau paquet de lois particulièrement sévères suscitent l’opprobre d’un grand nombre d’experts nationaux et internationaux. Au parlement, la gauche s’émeut d’une réponse «autoritaire». La droite salue au contraire sa «fermeté».
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La question de la ligne rouge
«La loi proposée manque de clarté pour garantir que les mesures prises en vertu de celle-ci soient nécessaires et proportionnées», affirment cinq rapporteurs spéciaux de l’ONU. «La formulation du projet de loi ouvre la voie à une interprétation large faisant courir le risque d’ingérences excessives et arbitraires dans les droits de l’homme», abonde dans le même sens Dunja Mijatovic, commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe. «Lutter contre le terrorisme en foulant aux pieds les engagements inscrits dans la Constitution fédérale menace notre sécurité», conclut la Plateforme des ONG pour les droits humains – 80 organisations helvétiques actives dans le domaine.
Deux projets de loi suscitent cette levée de boucliers. Le premier est débattu ce mardi au Conseil national: la mise en œuvre de la Convention pour la prévention du terrorisme du Conseil de l’Europe. Le traité n’est lui-même pas forcément jugé problématique par les organisations de défense des droits humains. Cependant sa mise en œuvre par la Suisse l’est. Alors qu’un terroriste ne l’était jusqu’ici que s’il soutenait une organisation criminelle avec le but de commettre des actes de violence, la réforme défendue par le gouvernement criminaliserait une simple «participation». Or, dénonce Amnesty International, «l’extension de la punissabilité à toute forme de soutien n’est pas prescrite par la Convention du Conseil de l’Europe». Les défenseurs des droits humains se préoccupent également d’un transfert de compétence indésirable à la justice pénale, qui pourrait décider quel genre de groupe est terroriste et quel autre ne l’est pas.
Le deuxième projet, qui devait être débattu ce mercredi avant d’être repoussé à l’automne, est encore plus critiqué: la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme. Celle-ci ouvrirait la porte à des interdictions de périmètre ou de contact avec certaines personnes ainsi qu’à des surveillances à l’aide de bracelets électroniques pour les enfants dès l’âge de 12 ans. Ceci sur la base «d’indices» et sans passer devant un juge. Une simple «présomption de dangerosité» suffirait également, dès l’âge de 15 ans, à se faire assigner à résidence après une rapide décision judiciaire hors procédure pénale.
En mai 2019, Fedpol assurait que ces réformes ne concerneraient que «quelques dizaines de personnes et qu’elles seraient limitées à six mois, reconductibles une seule fois pour la même période de temps». Elles n’en sont pas moins jugées «problématiques» par Dunja Mijatovic, qui souligne qu’elles «ne donnent pas l’assurance d’un cadre adapté aux mineurs selon la Convention des droits de l’enfant». Dans une lettre adressée aux parlementaires suisses, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe les prie de «revoir leur projet». Qu’en pensent ces derniers?
Les gros bras ou l’angélisme?
«Nous soutenons une lutte ferme contre le terrorisme», indique Léonore Porchet (Verts/VD), membre de la Commission de politique de sécurité du Conseil national. «Cependant, pour qu’elle soit efficace, le respect des droits humains est central. Sinon nous donnons ce qu’ils veulent aux terroristes. Avec ces mesures, on met en péril l’Etat de droit. Le Code pénal a été modifié 60 fois ces treize dernières années. Le coût de chaque durcissement est un peu de notre liberté. La Suisse n’applique toujours pas sérieusement la Convention d’Istanbul sur les violences domestiques mais elle veut jouer la meilleure élève dans le domaine de l’esbroufe sécuritaire.» Ce durcissement résonne avec l’actualité, souligne par ailleurs la Vaudoise: «Les pouvoirs policiers sont légitimes mais il faut les surveiller. Or, certaines de ces mesures vont à l’encontre de ce principe.»
Egalement membre de la Commission du National chargée du dossier, Jacqueline de Quattro (PLR/VD) voit les choses un peu différemment. «La majorité pénale est fixée à 10 ans, rappelle l’avocate. Nous parlons ici d’actes gravissimes. Il ne s’agit pas juste de liker un post internet. Les jeunes concernés par ces réformes représentent une véritable menace, pour les autres comme pour eux-mêmes. Notre mission est de les protéger, mais aussi de protéger leurs congénères. Quant aux mesures proposées, l’assignation à résidence n’est pas de la prison: c’est une obligation de rester chez soi. Des exceptions sont de plus prévues pour permettre un certain nombre de contacts sociaux.»
Quid des critiques internationales? «Je les entends, mais je ne pense pas qu’elles soient justifiées, dit l’ancienne conseillère d’Etat vaudoise. Il est nécessaire de ne pas tomber dans l’angélisme. Nous ne parlons pas d’enfants de chœur. Certains veulent protéger sans sanctionner, mais nous parlons ici de menaces extrêmement sérieuses.»