#LeTempsAVélo

Durant six semaines, plusieurs équipes de journalistes du Temps et d’Heidi.news se relaient pour parcourir la Suisse à vélo et raconter ses transformations. Suivez leur odyssée grâce à notre carte interactive et retrouvez leurs articles écrits au fil du chemin.

Bellinzone, ses trois châteaux, son Tribunal pénal fédéral et ses «Officine». Les Officine? Ce sont les ateliers de maintenance des Chemins de fer fédéraux (CFF). Sans le rail, Bellinzone ne serait pas devenue la capitale du Tessin. Entre le développement de la ville et celle du train, c’est 140 ans d’un destin partagé dont le percement du Gothard a été le déclencheur. «Ces ateliers, c’est notre bien commun. Dès la fin du XIXe siècle, ils employaient plus de 500 ouvriers. Toute la région, toutes les vallées y ont participé. C’étaient des emplois stables. C’était le futur.» Gianni Frizzo étale ses dossiers sur une table de la Casa del Popolo située en face de la gare. Le syndicaliste à la retraite est amer. Bientôt «ses» ateliers, où il a passé sa vie, comme ses parents et ses grands-parents, seront rasés. «C’est une trahison.»

«Les Officine? C’était le pain et le travail pour des centaines de familles. C’est une grande affaire pour Bellinzone et le canton. Il y a un lien très émotionnel», explique Mario Branda, qui reçoit dans son bureau de syndic entre deux rendez-vous et une célébration de mariage. Un traître, le premier et unique dirigeant socialiste d’une ville tessinoise à ce jour? «Nous avons fait le choix de bouger.» Les ateliers vont être détruits, certes. «Mais d’autres seront construits à Castione. C’est à 3 kilomètres de Bellinzone.» Et les 120000 m² des Officine feront place à une zone de développement et d’habitations avec de nouveaux emplois à la clé. Le maire reconnaît qu’il existe toutefois un flou du côté des CFF.

Une grève de trente-trois jours

«Nous n’avons pas grand-chose à dire, explique d’abord le porte-parole pour «la région sud» des CFF, Patrick Walser. Envoyez-nous vos questions par e-mail.» Pas de visite des ateliers donc, mais quelques réponses écrites. La régie fédérale confirme qu’il n’y aura pas de licenciement. Patrick Walser précise: «Actuellement, l’investissement prévu est de 360 millions de francs et le nombre d’emplois sera au moins de 300 collaborateurs (plus les postes d’apprentissage). Les plans industriels des nouveaux ateliers seront présentés en détail au mois de décembre.» Quant à la réaffectation des Officine de Bellinzone, elle dépendra du plan d’affectation qui doit encore être élaboré par la ville. «Il est prévu un développement par étapes et chaque lot sera l’objet d’un concours de projet.»

#LeTempsAVélo, épisode 26: A Blenio, une qualité de vie chèrement payée

On continue de se renvoyer la balle. La confiance entre les CFF, le canton, la ville et les cheminots n’est pas complètement rétablie. On revient de très loin, il est vrai. C’était en 2008. Les ouvriers des Officine apprennent par la presse que la direction des CFF, à Berne, a l’intention de démanteler leur outil de travail. La section syndicale de la Commission du personnel, avec à sa tête Gianni Frizzo, déclenche alors une grève qui durera trente-trois jours. Le soutien de la population, des autorités communales et cantonales sera extraordinaire. Une initiative pour sauver le pôle industriel des ateliers réunit 15 000 signatures. «Les CFF voulaient suspendre leur projet. Cela ne suffisait pas. Nous avons finalement obtenu de Moritz Leuenberger le retrait du plan de démantèlement», raconte Gianni Frizzo. Victoire pour les ouvriers. Victoire pour le Tessin. Puis plus rien ne bouge.

La tension demeure jusqu’en 2017. C’est alors qu’une convention est signée: les CFF construisent de nouveaux ateliers, maintiennent l’emploi et conservent «environ la moitié» du terrain des anciens ateliers. Bellinzone et le canton mettent 120 millions pour Castione et récupèrent l’autre moitié des 120 000 m². «Nous avions soutenu le mouvement de grève, mais il fallait aller de l’avant», argumente Mario Branda. Une solution soutenue par deux tiers des votants lors d’une consultation en 2018. «Les politiques nous ont écartés, déplore Gianni Frizzo. La population était mal informée. Pourquoi ne pas garder les ateliers de Bellinzone et en construire de nouveaux à Castione? Faire les deux était possible», estime-t-il en pointant du doigt un scénario évoqué dans un document des CFF.

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Un parc d’innovation pour renaître

Une victoire à la Pyrrhus pour les grévistes? «Au contraire! Un nouveau quartier va naître, Bellinzone va changer de visage, le canton va en profiter, et c’est leur mérite», insiste Mario Branda. Le maire est ambitieux. Sur leur partie de terrain, les autorités publiques ont pour projet de créer un parc technologique destiné aux start-up spécialisées dans les biotechnologies ainsi qu’un institut de recherche en bio-médecine qui devrait accueillir 250 chercheurs. «Bellinzone sera le relais tessinois des Switzerland Innovation Parks.» Un parc public de 30 000 m2 devrait être aménagé et la «cathédrale», le principal bâtiment où étaient assemblées les locomotives, sera transformée en salle culturelle polyvalente. Les CFF promettent de leur côté de développer l’immobilier, avec des logements, des bureaux et des commerces.

Lors de la présentation de ce nouveau quartier, l’an dernier, le Corriere del Ticino titrait: «La ville en vert qui nous fait rêver». Du rêve à la réalité, il y a encore quelques écueils à franchir: la présentation d’un plan d’affectation détaillé par les autorités, la confirmation des intentions des CFF, un éventuel référendum contre ce nouveau quartier. Le maire estime qu’il n’y aura pas de feu vert définitif avant un ou deux ans. Le nouvel ensemble serait alors achevé d’ici vingt à trente ans. Pour Bellinzone, ce serait une forme d’apothéose. Si le canton connaît un déclin démographique, la capitale est en expansion. En 2017, elle réalisait la plus grande fusion de communes du pays (en s’élargissant à 12 municipalités voisines) et passait d’un coup de 18 000 à 44 000 habitants sur un territoire de 164 km². «Nous sommes la ville de plus de 30 000 habitants avec la plus grande surface», précise Mario Branda. L’objectif est à présent de créer des emplois qualifiés pour retenir les jeunes talents. Et mettre Bellinzone sur de nouveaux rails.

Notre carnet de route: #LeTempsAVélo, d’Egnach à Bellinzone