Gardien de la dernière fonderie de bronze au Tessin
Artisanat
En sauvegardant un savoir-faire menacé de disparition, Andrea Ziino pérennise un art plurimillénaire

Depuis la route, on aperçoit une reproduction du chef-d’œuvre de Michel-Ange, un David haut de 4 mètres, en bronze. Bienvenue à Perseo, la dernière fonderie de bronze du Tessin, créée en 1952, dans le sud du canton. Nous pénétrons dans une grande cour-musée où des centaines de statues jonchent le sol. Des ballerines, des figures abstraites, des chevaux grandeur nature de Salvador Dali…
La fonderie est abritée dans un grand hangar industriel. Les yeux verts perçants, 47 ans, la boucle de nez et le bras gauche entièrement tatoué, Andrea Ziino nous fait visiter les différentes étapes de la fabrication. Dans une atmosphère détendue, au son de la radio, des artisans travaillent à la reproduction en bronze de sculptures de plâtre, de bois ou autre matériau. Un art en soi qui requiert plusieurs opérations complexes et un savoir-faire pointu.
Payé pour vivre sa passion
Andrea Ziino est passionné. Il travaille à la Perseo depuis vingt-cinq ans, la dirige depuis près de vingt. D’origine sicilienne, mais né à Varèse, en Lombardie, il est établi au Tessin depuis 1993. Dans une vie précédente, il était conseiller financier. «Raconter des histoires à un père de famille qui me confie toutes ses économies, lui disant que son argent est en sécurité, ce n’était pas pour moi.» Avec la fonderie, ça a été le coup de foudre. Pour elle, d’un jour à l’autre, il a tout lâché.
Il a commencé comme garçon à tout faire, en passant le balai, motivé à tout apprendre. Il s’est spécialisé dans la patine du bronze, mais il domine toutes les opérations menant à l’œuvre finale. Ici, rien n’est standardisé, il n’y a pas deux sculptures pareilles, chaque jour est différent également. «Je suis payé pour vivre ma passion, comme un joueur de foot. Je ne pourrai jamais la laisser. La fonderie, c’est mon enfant», confie celui qui vit juste à l’étage au-dessus.
«Tradition italienne, précision suisse»
La devise de Perseo: «Tradition italienne, précision suisse.» Ses clients viennent du monde entier. Parmi eux, l’entreprise compte l’éditeur qui dispose des droits sur l’œuvre de Salvator Dali. Ici, le bronze le plus noble est utilisé, un alliage de cuivre à 90% et d’étain à 10%. Trois techniques sont employées, dont la plus traditionnelle, la cire sous vide. Les sculptures de bronze sont chauffées à 1200 degrés Celsius dans un four grand comme une petite pièce. Le prix d’une fusion dépend de la taille de la sculpture, du matériel, mais surtout de sa complexité. Entre quelques centaines de francs et quelques centaines de milliers.
La fusion du bronze est une activité ancienne de plusieurs millénaires, rappelle Andrea Ziino. L’âge du bronze, précisément, remonte à plus de 3000 ans avant J.-C. La technique inventée par nos lointains ancêtres demeure la même. «Il y a quelque chose de magique à observer une fusion. En vingt-cinq ans d’activité, j’en ai vu des milliers, mais si je passe dans l’atelier au moment où la liquéfaction a lieu, je ne peux faire autrement que de m’arrêter pour regarder. Il y a dans ce phénomène quelque chose de primordial, de primitif.»
Retour vers la sculpture
Dans les années 1990, le Tessin comptait une quinzaine de fonderies. Elles ont toutes disparu, sauf la Perseo. Le travail qui s’y fait ne s’apprend pas à l’école, c’est un savoir qui se transmet d’une personne à l’autre, souligne Andrea Ziino qui a assuré le passage de témoin en recrutant plusieurs jeunes. Ses douze employés ont entre 25 et 60 ans, la plupart possédant au moins quinze ans d’expérience. «Si l’on attend qu’un artisan arrive à la retraite pour le remplacer, c’est trop tard. Quand un jeune homme ou une jeune femme de 20 ans passe huit heures par jour avec un professionnel qui a derrière lui une vie d’expérience, ce qu’il apprend n’a pas de prix.»
«La machine 3D, le scannage, ça peut être pratique, mais cela n’a pas d’âme. Quand on utilise ses mains, on utilise aussi son cerveau.»
Depuis quelques années, Andrea Ziino observe un certain retour vers la sculpture. «La période de l’art conceptuel est passée.» Il regrette cependant le peu de place que l’école donne à la formation artistique. «On sous-estime la valeur de l’art, qui remue quelque chose en nous, nous rendant plus sensibles, meilleurs.» «La machine 3D, le scannage, ça peut être pratique, mais cela n’a pas d’âme, juge-t-il. Quand on utilise ses mains, on utilise aussi son cerveau.»
Alors que traditionnellement une aura de mystère et de secret entourait les fonderies, Andrea Ziino a ouvert la Perseo au public. Des visites guidées sont offertes, les écoles viennent en course, des événements musicaux et gastronomiques sont organisés dans ce cadre exceptionnel. «Je veux partager les émotions que suscite la fonderie.»