Exode
Selon une enquête, 47% des Tessinois âgés de 18 à 25 ans envisagent de s’installer dans un autre canton dans les cinq ans à venir. La concurrence des frontaliers italiens y est peut-être pour quelque chose

Près de la moitié des jeunes Tessinois prévoient de prendre le large. C’est ce qu’indique une analyse de la mobilité réalisée dans le cadre des enquêtes fédérales auprès des jeunes, ch-x. Plus précisément, 47% des Tessinois âgés de 18 à 25 ans envisagent de s’installer dans un autre canton dans les cinq ans à venir. Ce taux est spectaculaire en comparaison avec les autres régions linguistiques. Seuls 7% des jeunes Alémaniques et 12% des jeunes Romands considèrent une telle perspective.
Comme facteurs influençant cette tendance, les auteurs de la recherche citent la taille du canton, la diversité du marché du travail et le nombre plus limité d’établissements d’enseignement supérieur. La propension à quitter le canton italophone s’accentue en effet avec le niveau d’éducation.
Départs en hausse
Cette forte part de jeunes Tessinois prévoyant de quitter prochainement leur canton concorde avec la réalité de l’émigration enregistrée ces dernières années. Selon l’Office cantonal de la statistique (Ustat), les départs effectifs du Tessin vers un autre canton sont passés de 1584 en 2006 à 2777 en 2016 (+75%). Les départs vers un autre pays sont passés durant la même période de 3292 à 5911 (+80%). La moitié de tous ces déménagements sont le fait des 20-39 ans.
Commentant ces chiffres l’an dernier, Pau Origoni, directeur de l’Ustat, relevait la présence des frontaliers comme un facteur éventuel pouvant stimuler l’émigration. Les travailleurs italiens occupés au Tessin ont atteint cette année le pic de 66 300 (sur un total de 235 000 actifs), alors qu’ils n’étaient que 26 500 il y a vingt ans.
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Consensus
Que cette particularité du marché du travail tessinois pousse à la mobilité et qu’elle devrait davantage interpeller Berne fait plutôt consensus au sud des Alpes. Le sujet ne manque pas d’animer la campagne en vue des élections fédérales.
«Ce que les enquêtes définissent par euphémisme comme une «propension à partir» est en réalité un choix contraint, déplore Lorenzo Quadri, conseiller national léguiste. La situation de la population tessinoise est grave et il est scandaleux qu’elle soit ignorée au niveau fédéral. Vu la totale inefficacité de la «préférence indigène light», le seul moyen d’endiguer la fuite des jeunes du canton est d’abolir la libre circulation des personnes.»
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Chef du groupe PLR au Grand Conseil et candidat au National, Alex Farinelli reconnaît que beaucoup de Tessinois choisissent d’étudier et de travailler ailleurs en Suisse ou à l’étranger. Ce faisant, ils élargissent leurs horizons et des compétences assurant «une plus-value pour le canton s’ils reviennent». Mais la pression de la concurrence italienne forçant certains à migrer est incontestable: «Le cas du Tessin est particulier, nous devons exiger des mesures de protection plus contraignantes qu’ailleurs en Suisse. Comme l’application d’une préférence indigène à l’embauche dans les secteurs où le chômage local atteint un certain seuil», affirme le candidat PLR.
Une situation particulière
Certes, la libre circulation n’apporte pas que des bénéfices, surtout au Tessin, observe Fabio Regazzi, président de l’Association de l’industrie tessinoise (AITI) et conseiller national (PDC). «C’est difficile de faire comprendre à Berne la situation au sud des Alpes», affirme-t-il, ajoutant que le canton compte presque une vingtaine de contrats types de travail (CTT), une mesure prévue par le droit fédéral dont le Tessin s’est servi plus que tous les autres cantons ensemble. «Mais les jeunes possédant un profil professionnel plus pointu sont moins à l’abri du dumping salarial et plus susceptibles de partir.»
Rappelant que, selon les chiffres de l’OFS, le salaire médian tessinois est plus bas d’environ 1000 francs que dans le reste de la Suisse, Igor Righini, président du Parti socialiste et candidat au Conseil national, soutient que «ce nouvel exode forcé est attribuable à l’économie spéculative qui profite de la proximité de la main-d’œuvre italienne bon marché». Epinglant le candidat léguiste aux Etats, Battista Ghiggia, accusé d’incohérence politique ces jours après que La Regione a révélé qu’il aurait employé une douzaine de frontaliers, l’homme de gauche plaide pour «un revirement politique, plus de contrôles, un salaire minimum digne et une loi du travail plus forte».
Développer les conditions pour protéger le marché du travail est impératif, affirme la syndicaliste Greta Gysin, candidate de la liste Verts et gauche alternative au National et aux Etats. «Quelques dizaines de milliers d’emplois ont été créés dans le canton cette décennie, mais très peu d’entre eux sont occupés par des Tessinois. A Berne, il faut renégocier l’accord-cadre avec l’Union européenne.»