Portrait
Responsable de la direction du secrétariat du Grand Conseil d'outre-Gothard, la fonctionnaire a pris sa retraite après quarante-sept ans de service et 13 législatures! Souvenirs, souvenirs...

Le 26 janvier, Jole Agostinetti a été chaleureusement ovationnée par les députés du Grand Conseil. «Pendant cinq bonnes minutes», précise Daniele Caverzasio, président du Grand Conseil. Du jamais-vu de mémoire de parlementaire. C’est qu’après quarante-sept ans de service, 13 législatures et quelque 2000 séances, la fonctionnaire chargée de la direction du secrétariat du Grand Conseil part à la retraite. Responsable de la gestion administrative du parlement cantonal, elle incarne pour les parlementaires une référence incontournable.
«J’étais très émue», confie l’intéressée, retraitée depuis trois jours, remettant en place l’énorme bouquet offert par «ses» députés dans son salon de Bellinzone, à deux pas du couvent des Ursulines. «D’autant que je ne m’y attendais pas; j’étais sur le point d’envoyer un courriel urgent quand j’ai entendu «Retraite!» Mais j’ai réussi à retenir mes larmes», sourit-elle.
Les hommes tous en veston-cravate, on se vouvoie. Tous les députés ont au moins 45-50 ans, aucun jeune de 20-30 ans comme aujourd'hui
Des dames très élégantes
La jeune Jole entre au secrétariat du Grand Conseil à 17 ans, après quatre ans de gymnase et une école d’administration. «C’était les années 1970, lorsque les institutions étatiques et para-étatiques – le canton, les CFF, La Poste – venaient vous offrir du travail à la sortie de l’école», souligne-t-elle. En 1973, lors de la première législature où siègent des femmes, sur les 90 parlementaires du Grand Conseil, elles sont 11. «Toutes des dames très élégantes.»
Tout était alors plus formel, se remémore l’ex-fonctionnaire. «Les hommes tous en veston-cravate, on se vouvoie. Tous les députés ont au moins 45-50 ans, aucun jeune de 20-30 ans comme aujourd’hui.» Quoi d’autre? «Les débats sont plus animés, plus viscéraux, on fait plus de compromis, il y a davantage de collégialité. La couleur politique des députés est le plus souvent liée à leur nom. Le PLR et le PDC se partagent le pouvoir. Et ça fume!»
Quand la Ligue des Tessinois du tonitruant Giuliano Bignasca débarque au parlement au début des années 1990, c’est un tournant. «Ils ne respectent pas les règles du Grand Conseil parce qu’ils ne les connaissent pas, se souvient-elle, amusée. Certains hurlent. D’autres ne disent pas un mot, ne sachant pas trop ce qu’ils font là.» Puis la Lega arrive au pouvoir en 1995, avec Marco Borradori, conseiller d’Etat jusqu’en 2013, un léguiste atypique, élu avec des scores exceptionnels.
«Alors que les autres sont tapageurs, lui est toujours gentleman, réussissant à mettre tout le monde d’accord, tous partis confondus.» Puis, un deuxième léguiste, le jeune Norman Gobbi, 34 ans, le rejoint au gouvernement en 2011. Depuis, la Lega a maintenu ses deux sièges (sur cinq) avec l’arrivée de Claudio Zali en 2013.
La présence des médias change aussi le mode de faire des politiques. «La télévision dans la salle dès les années 2000, les journalistes qui attendent les députés à la sortie… A cause de cette pression, des décisions qui mériteraient d’être mûries sont parfois prises précipitamment», juge-t-elle, ajoutant que la presse tend à se focaliser davantage sur «deux députés qui se prennent de bec que sur la votation d’un important crédit».
Les réseaux sociaux? Beaucoup de politiciens y font leur politique plutôt que de se présenter en assemblée, déplore Jole Agostinetti. «Certains ont l’impression de ne s’adresser qu’à leurs amis, alors que tout le monde les lit. Cela peut créer de gros malaises», glisse-t-elle. En revanche, au Grand Conseil, on parle trop et l’on décide trop peu, estime-t-elle. «Certains utilisent le parlement pour faire leur show, alors qu’ils gagneraient à se taire. La visibilité et l’image ont pris le dessus, au détriment du contenu.»
Parmi les scandales qui ont secoué la politique tessinoise, elle se souvient, bien sûr, du «Ticinogate», au tournant du XXe siècle, une histoire de corruption et de contrebande, impliquant la mafia et un juge du Tribunal pénal cantonal. «L’atmosphère était extrêmement tendue, d’autant plus que les journalistes étaient sans cesse à l’affût.»
De la gauche au centre
Jole Agostinetti est née dans une famille plutôt de gauche. «Mon père était mécanicien, mon grand-père paternel travaillait aux ateliers CFF et mon autre grand-père était agriculteur, membre de l’UDC, parti des paysans à l’époque.» Mais elle-même tend de plus en plus vers le centre. «Il me semble que la gauche fait du surplace, je ne m’y identifie plus; je trouve parfois que, malheureusement, les jeunes ont de vieilles idées.»
Non, son expérience ne lui a pas donné envie de se lancer en politique: «Je préfère travailler en coulisses.» Pendant tout ce temps, quel a été son politique préféré? Sans hésiter une seconde, le socialiste Pietro Martinelli, répond-elle. Entré au parlement pour faire de l’opposition, élu ensuite au Conseil d’Etat – il y a siégé de 1987 à 1999 – il a su être efficace, soutient-elle. «Et surtout, lors de mes premières séances dans la salle du Grand Conseil, quand il parlait, je comprenais. Les autres faisaient dans le politicard.»
Profil
1956 Naissance à Bellinzone.
1973 Entrée au secrétariat du Grand Conseil.
1987 Accroissement de ses responsabilités avec l’arrivée de Rodolfo Schnyder, dit «Rodo», secrétaire général du Grand Conseil.
2013 Départ à la retraite du même Schnyder, son patron et mentor, après vingt-sept ans de collaboration.
2021 Départ à la retraite.
Retrouvez tous les portraits du «Temps».