Devant nous, le déluge. La pluie qui s’abat sur le lac de Lugano en ce mois d’octobre donne au Ceresio, bateau historique de 1931, des airs d’Arche de Noé pimpée au néon vert fluo. La couleur symbolise l’effort fait cette année par la Società Navigazione del Lago di Lugano pour réduire son impact environnemental. Le Ceresio est le premier bateau suisse à moteur 100% électrique, dont l’endurance permet d’envisager l’exploitation commerciale en remplacement des embarcations diesel. Cette «ligne verte», qui relie Lugano à San Rocco et Gandria, fera la fierté du canton lors de son lancement courant octobre. Et ce n’est que le début.
Comment fonctionne-t-il? «Par ici, venez voir le moteur!» Francesco Musto, imperméable bleu et cravate ornée d’ancres marines, ouvre une trappe dans une cabine flambant neuve. «Attention à la tête», prévient-il. L’ingénieur, expert maritime de formation, a été mandaté par la société de navigation depuis le mois de janvier 2021 pour accompagner le projet. Il disparaît dans le ventre de la bête agrippé à une échelle en métal. «Je vous montre, mais ne prenez pas de photos. On aimerait garder certaines technologies pour nous, pour le moment.»
Le moteur d’origine, nonagénaire, a été remplacé par une version électrique et 6,5 tonnes de batteries. Leur stockage et leur refroidissement ont représenté un véritable défi, compte tenu de la taille imposée par le gabarit de l’antique embarcation. «Leur design, couplé à la possibilité de les charger rapidement, sont les innovations qui pourraient vraiment faire une différence pour l’exploitation commerciale», détaille Gabriel Ramos, responsable des projets stratégiques et directeur technique de la Società Navigazione. La vitesse de croisière n’en pâtit pas, au contraire: le Ceresio est légèrement plus rapide depuis sa métamorphose et atteint plus de 24 km/h.
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Plus de six heures d’autonomie
Doté de plus de six heures d’autonomie, le Ceresio peut être rechargé en une vingtaine de minutes en mode accéléré, directement sur le débarcadère grâce à des prises surpuissantes. En mode lent sur le chantier naval, il faut compter trois à quatre heures. Adieu, planches de bois patinées. Pour répondre aux normes de sécurité, le deck, sol du bateau (ou le plafond de la salle des machines, c’est selon), a été remplacé par une couche d’acier et laine de verre afin d’en assurer l’isolation en cas d’incendie. Un wifi crypté permet par ailleurs d’intervenir à distance et de prendre le contrôle sur le moteur et ses batteries en cas de problème.
A bâbord, la poupe blanche et bleue du Morcote, un bateau historique à diesel, se détache de l’embarcadère dans un nuage de fumée malodorante. Bientôt de l’histoire ancienne. «Nous aurions pu construire un nouveau véhicule au lieu de transformer le Ceresio, indique Gabriel Ramos, mais cela aurait été très cher. L’idée était aussi de montrer qu’on pouvait conserver le patrimoine historique lacustre tout en étant à la pointe de l’innovation.»
Tout le monde pense qu’il faut aller en Suisse alémanique pour apprendre quelque chose. Nous voulons faire venir les gens au Tessin
Un blason redoré et reverdi
Les ambitions tessinoises ne s’arrêtent pas là. Le Ceresio est le fleuron du projet Venti35, lancé cette année, qui rassemble des partenaires des secteurs public et privé. L’investissement pour Ceresio a été soutenu, entre autres, par l’Office fédéral des transports avec le programme SETP 2050, et par la Ville de Lugano. L’ensemble du projet a pour objectif de convertir toute la flotte du lac à l’électricité d’ici à 2035, d’une part, et de faire du Tessin un pôle de compétence dans la transition énergétique, d’autre part.
«Que ce soit ici ou à Genève, c’est toujours la même chose: tout le monde pense qu’il faut aller en Suisse alémanique pour apprendre quelque chose. Nous voulons inverser cette tendance et faire en sorte que les étudiants, ingénieurs et entrepreneurs viennent ou reviennent au Tessin pour acquérir des compétences dans ce domaine. Nous avons déjà des collaborations avec l'Université des sciences appliquées de la Suisse italienne, et nous espérons en obtenir d’autres.»
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L’espoir d’essaimer
Pour promouvoir leur initiative, les partenaires du projet Venti35 (voir leur vidéo) ont lancé l’association Green Swiss Lakes. «Nous avons l’intention de participer à la transition d’autres villes lacustres en Suisse, voire d’autres villes internationales. Ce secteur sera porteur et incontournable dans les années qui viennent», souligne Gabriel Ramos. Et en Suisse romande? Des prises de contact ont eu lieu, mais les détails ne seront pas partagés.
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Climat, l'été de tous les extrêmes
Sur le pont, le déluge redouble. Depuis 24 heures, la météo fait déjà les gros titres de la presse locale, entre interruption du trafic ferroviaire et dégâts des eaux. Difficile de ne pas penser aux études parues cet été, démontrant le lien entre multiplication des épisodes de précipitations intenses et changement climatique. «Si toute la flotte passe à des solutions zéro émission, on économisera 16 000 tonnes de CO2 par an», estime Gabriel Ramos. Pas l’Arche de Noé, mais presque.