«Des mesures pour combattre la mafia italienne sont nécessaires dans les Grisons italiens»
Grisons
La maire d’une commune des Grisons italiens réclame de Berne que les mesures prises contre la mafia au Tessin soient appliquées au canton trilingue

Nicoletta Noi-Togni, maire de San Vittore et députée indépendante au Grand Conseil grison, dénonce sans relâche depuis des années le phénomène des sociétés boîtes aux lettres qui minent l’économie de son canton. Récemment, elle a convaincu le gouvernement de Coire – avec la pression des médias – de demander au Conseil fédéral d’étendre aux Grisons italiens sa stratégie 2020-2023 pour combattre la mafia au Tessin.
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Le Temps: Les Grisons italiens sont connus pour être le siège de centaines de sociétés boîte aux lettres. Quel est le problème?
Nicoletta Noi-Togni: Dans les vallées de la Mesolcine et de la Calanca, jouxtant le Tessin, pour 8400 habitants, en 2017, 1600 entreprises étaient enregistrées. On nous répète que les sociétés boîtes aux lettres sont légales. Mais à quoi servent-elles? Soit à des fins d’évasion fiscale, soit, plus grave, à blanchir de l’argent sale. Plusieurs de ces entreprises fantômes ont des trafics douteux avec des sociétés à Malte, Dubaï, Singapour… Il y a certainement quelque chose de malhonnête là derrière.
Vous pensez au recyclage d’argent sale?
Des étrangers viennent ici acheter des vieilles maisons avec du capital dont on ne sait d’où il sort. Ou encore, ils se mettent à construire, construire, construire, en arrivant avec du matériel de Biélorussie et des travailleurs étrangers. Des situations qui suggèrent fortement le recyclage d’argent sale. Nous ne pouvons rien faire. Pour les arrêter, les recours coûtent des sous. C’est déjà lorsque ces gens arrivent dans le canton et s’annoncent qu’il faut des mesures permettant de filtrer le bon grain de l’ivraie. Nous aurions besoin d’effectifs policiers plus importants. Mais nous sommes de petites communes.
Pourquoi demandez-vous que les mesures prévues pour combattre la mafia italienne au Tessin soient également adoptées dans les Grisons italiens?
Celles-ci ne peuvent pas s’arrêter à la frontière entre les deux cantons. Elles sont absolument nécessaires chez nous aussi. La criminalité y est pire dans les Grisons italiens, puisque depuis que le Tessin a serré la vis le problème s’est déplacé chez nous, où les contrôles sont moindres. Le Tessin a déjà des mesures préventives, inexistantes dans les Grisons. Comme sa loi sur l’exercice des professions de fiduciaire, qui exige des étrangers souhaitant créer une entreprise dans le canton qu’ils fournissent un extrait de leur casier judiciaire. Or, le gouvernement grison prétend ne pas vouloir d’une loi «illégale», allant à l’encontre des accords bilatéraux avec l’Europe. Pourtant, à chaque apprenti qui va étudier à Zurich et loue une chambre on demande un extrait de casier judiciaire. C’est absurde!
Dans le canton, à qui profite le statu quo?
Voilà une bonne question! Je ne crois pas que le gouvernement fasse le jeu de quelque groupe ou individus. Je pense plutôt qu’à Coire, on n’est pas en contact avec cette réalité et on ne réalise pas ses conséquences. Elle existe sûrement dans la partie germanophone du canton, mais elle est moins visible qu’ici.
Ces sociétés boîtes aux lettres peuvent nuire à l’économie locale?
Certaines créent des dettes et des pertes d’argent pour l’Etat. Une vraie plaie! Des propriétaires qui se prétendent salariés se mettent au bénéfice du chômage et d’autres assurances sociales. Certains font faillite après quelques mois, laissant derrière eux des dettes qui ne seront jamais remboursées, puis vont au Registre du commerce créer une nouvelle entreprise. Nous avons pu observer que certains ont répété ce manège huit-neuf fois. Au Registre du commerce, on nous dit que «tout le monde a droit à une autre chance»!
Que Coire ait accepté aussi rapidement de demander à Berne l’extension de son plan d’action contre la criminalité organisée prévu pour le Tessin aux Grisons vous a-t-il étonnée?
J’étais très surprise, et très contente. C’est grâce à la pression des médias que le gouvernement cantonal a adopté cette décision. Depuis des années, il prend ce thème très à la légère. Ne faisant pas partie du groupe majoritaire, étant sans parti, de culture et de langue minoritaires, et femme, c’est très difficile de me faire entendre dans la capitale. Cette fois, le Conseil d’Etat n’a pas pu ignorer le problème, il est tellement évident. Il s’agit aussi d’une question de timing. Le Conseil fédéral a répondu à une interpellation du député PDC tessinois Fabio Regazzi sur la façon dont il entendait combattre la mafia italienne au Tessin. J’ai saisi l’occasion en écrivant tout de suite à Berne pour que sa stratégie 2020-2023 pour le Tessin soit étendue aux Grisons italiens.
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