Un méga-projet de station de villégiature pour riches étrangers sème la controverse au Tessin. Le document promotionnel décrit un cinq-étoiles «supérieur», d’une valeur de quelques centaines de millions de francs, avec une vue panoramique à couper le souffle sur le lac Majeur et les montagnes, situé à 1000 mètres au-dessus de Locarno, sur le Monte Brè. «On ne peut pas laisser la spéculation foncière ruiner ce dernier coin de paradis qui appartient à tous les Tessinois, pour une poignée de richissimes!» s’exclame l’ancien conseiller national socialiste Franco Cavalli, qui s’est engagé dans l’association Sauver Monte Brè.

Selon le prospectus des promoteurs, le site compterait 19 000 m2 de surface habitable et plus de 150 logements de luxe, 3000 m2 d’aire «spa», une piscine, deux restaurants et des courts de tennis.

Directeur du groupe Augur Invest, créé pour soutenir le projet, Marc Sontag explique qu’une décision quant au concept de développement final n’a pas encore été arrêtée. «Nous évaluons diverses possibilités dans le cadre du plan de zones de la commune et selon les critères des investisseurs.» A ce stade, il ne souhaite pas s’exprimer sur l’identité de ces investisseurs potentiels et souligne qu’aucune demande de construction n’a été soumise à ce jour.

Création d’emplois…

Le moment venu, lorsque les autorités l’exigeront et que le projet aura été défini, une étude d’impact complète sera menée, assure-t-il. «Cela dit, certains avantages pour la région sont déjà évidents, comme la création d’emplois, d’infrastructures et de services, des taxes pour les gouvernements, des commandes pour les fournisseurs locaux, l’augmentation de l’attractivité de la destination, la préservation du patrimoine culturel, le rajeunissement de la population locale…»

A qui craint pour la montagne, Marc Sontag garantit que les promoteurs ont le développement durable très à cœur. «Il est de notre plus grand intérêt d’entretenir le paysage de la meilleure façon possible, cela en se soumettant rigoureusement au plan de zones de la commune.»

… et nuisances

En effet, les adversaires du projet soutiennent que le trafic, le bruit et les déchets propres à un complexe cinq étoiles sont incompatibles avec l’environnement naturel du Monte Brè. «Déjà, seul le transport de plus de 45 000 tonnes de matériel pour la construction, soit plus de 1800 camions de 25 tonnes, ou plus de 30 000 passages en hélicoptère de 1,5 tonne, pose problème», calcule Franco Cavalli. La route pour se rendre au site est très étroite et devrait être élargie, souligne-t-il.

A Locarno, il y a une opposition féroce contre ce projet, assurent les adversaires, et un sit-in de contestation sur la voie publique est prévu le samedi 9 mars. Les opposants envisagent aussi une initiative populaire visant à modifier le plan de zones afin de stopper l’initiative.

«Nous voulons faire le plus de bruit possible pour que les investisseurs potentiels – notamment des Allemands, qui ne connaissent rien de la région – pensent plus judicieux de mettre leur argent ailleurs.» Ces gens auraient déjà acheté pour 30 millions de francs de terrains, soit la presque totalité de la superficie nécessaire, relève Franco Cavalli, qui ajoute que les enjeux économiques sont majeurs. «Il y a évidemment des potentats locaux qui ne se montrent pas, mais qui profitent de ce genre de magouille.»

Interpellations parlementaires

Trois interpellations parlementaires ont été déposées depuis septembre par les Verts et les socialistes pour amener le gouvernement de Locarno à se positionner sur le projet. Conseiller communal socialiste, Fabrizio Sirica estime que les coûts, notamment pour la construction d’une nouvelle route et le réseau hydroélectrique, retomberaient sur les citoyens.

«Il s’agit d’un projet peu transparent, longtemps resté secret et mené par un personnage qui, selon une enquête du quotidien La Regione, est pour le moins opaque.» La position ambiguë de l’exécutif le préoccupe. Les intérêts en jeu sont énormes, ce qui peut évidemment attirer du soutien politique, reconnaît-il. «Lorsqu’une demande de permis de construction sera faite, nous envisageons de demander aux autorités de lancer un référendum facultatif afin de sonder la population sur cette initiative.»

Alain Scherrer, maire de Locarno, étant «absent» pour un commentaire, la Chancellerie renvoie Le Temps à la réponse du gouvernement aux interpellations parlementaires. En substance, il y affirme qu'il n'a reçu aucune demande de permis de construire et que, selon le plan de zones de la commune, le projet serait faisable.