Natalia Ferrara sera peut-être la première présidente du PLR tessinois
Portrait
L’avocate de 38 ans est candidate à la direction du plus grand parti du canton. Une femme jeune et issue de la migration qui est le produit du libéralisme tel qu’elle le conçoit et entend le défendre

Brillante, bosseuse, une «remarquable puissance de feu», selon certains collègues, Natalia Ferrara pourrait devenir le 22 novembre, en plus de 150 ans d’histoire, la première présidente du Parti libéral-radical tessinois (PLRT). Une parmi les trois candidats au poste, l’avocate, responsable régionale de l’Association suisse des employés de banque (ASEB) et députée au Grand Conseil depuis 2015, insufflerait un vent de renouveau au sein du plus important parti tessinois (en termes de députation), en constant déclin depuis des années.
Non seulement parce que femme et jeune (38 ans ce samedi), mais aussi grâce à ses origines sociales. Ses parents ont émigré de la Campanie, au sud-ouest de l’Italie. Son père est arrivé comme saisonnier dans les années 1970, à l’époque où les permis de séjour pour la famille n’existaient pas. Son épouse l’a rejoint avec Natalia lorsqu’elle avait 3 ans, en 1986. Educatrice, sa mère n’a pu faire reconnaître ses diplômes et, à ce jour encore, fait des ménages. Son père est aide cuisinier. «Des gens très travailleurs; pas une fois je ne les ai entendus se plaindre», confie-t-elle, attablée à un joli café de Bellinzone.
Le niveau du bar
La jeune Natalia a misé sur l’éducation, prenant d’abord d’assaut la bibliothèque communale. Elle a enchaîné les petits boulots comme serveuse et vendeuse. «Travailler dans les bistrots n’a pas été une sinécure, mais ça m’a été utile; en politique aussi il y a une grande majorité d’hommes et le niveau est parfois celui du bar.»
Ces emplois enseignent la patience, ajoute-t-elle. «Les gens sont souvent pressés, exigeants, pas toujours polis. On oublie à quel point ces métiers sont lourds.» Elle observe que, dans tous les partis, il y a une certaine distance par rapport à la base et aux «petites gens». Ces jours, il y a ceux qui sont déçus de ne pas pouvoir aller en vacances, mais aussi ceux qui se demandent comment faire face à l’augmentation de leurs primes maladie, remarque-t-elle.
Les parents Ferrara ont en tout cas de quoi être fiers du parcours de leur fille unique. Après des études de droit à l’Université de Bâle, elle se présente aux élections communales de 2008 et est élue à la mairie de Stabio, dans le Mendrisiotto. En 2010, à 27 ans, elle fait partie des 21 procureurs élus, sur les centaines d’avocats que compte le Tessin. En 2015, elle participe à la course au Conseil d’Etat (où seules trois femmes ont siégé) et est brillamment élue au Grand Conseil.
Certes, ses parents sont heureux, mais ils souffrent aussi. Le climat politique tessinois, surtout pour une femme, peut être très brutal. Il est arrivé à Natalia Ferrara de recevoir des menaces de viol, de mort; sa voiture a été vandalisée… Les attaques sont constantes, notamment du Mattino della domenica, l’influent journal dominical de la Ligue des Tessinois, qui rappelle de façon récurrente ses racines italiennes, comme s’il s’agissait d’une tare.
Si le 22 novembre, elle devient présidente du PLRT, elle entend redonner au libéralisme ses lettres de noblesse. Elle rappelle que le parti a compté plusieurs visionnaires. «Aujourd’hui, on prend des décisions, mais on n’entreprend pas de véritables réformes», déplore-t-elle, reconnaissant toutefois que la politique et la société sont désormais plus complexes.
Profondément libérale, elle estime que ce courant politique, auquel elle a consacré un livre (Liberalismo: Vincere sessismo e populismo al tempo dei click, dei like e delle fake news, Ed. Armando Dadò, 2019), demeure la meilleure voie vers l’émancipation. «On ne doit cependant pas faire l’économie d’une critique de ses dérives. Le discours du marché qui se régule seul est une fake news», considère-t-elle. «Libéralisme» veut dire donner à tous les mêmes chances de départ, selon elle. «Les employeurs doivent prendre leurs responsabilités; personne ne devrait travailler à 100% et peiner à joindre les deux bouts.»
Les dossiers urgents? Le marché du travail, la mobilité, la parité. Une personnalité publique qu’elle admire particulièrement? Petra Gössi, la présidente du PLR. Ce qu’elle a réussi par rapport à la loi sur le CO2 (obtenir un consensus en sa faveur), personne n’aurait pu le parier, affirme-t-elle. «Au début, elle était seule; elle a fait beaucoup plus que des dizaines d’autres députés du parti ces dernières années, même parmi les plus progressistes, les plus favorables à l’environnement, malgré tous les freins inimaginables.»
Présomption choquante
Natalia Ferrara rayonne. Elle est enceinte de quatre mois. Lorsqu’elle a annoncé la nouvelle sur les réseaux sociaux, certains journalistes ont d’emblée regretté le retrait de sa candidature à la présidence du PLRT. «Cette présomption m’a choquée.» Car elle entend bien continuer à travailler et à faire de la politique. «Ce n’est pas juste une question d’organisation, il s’agit de savoir fixer ses priorités et déléguer», soutient-elle, ajoutant qu’on ne critique pas les hommes qui cumulent les mandats politiques, économiques, travail, famille et enfants. «Mais une femme…»
Son mari et elle sont habitués à beaucoup de flexibilité, ils pratiquent le télétravail, et profitent des bonnes dispositions de quatre grands-parents, et d’une garderie à Stabio pour laquelle elle s’est battue il y a quinze ans. In bocca al lupo!
Profil
1982 Naissance en Campanie.
2008 Conseillère communale à Stabio.
2010 Procureure au Ministère public de Lugano.
2015 Elue au Grand Conseil tessinois.
2019 Candidate au Conseil national, arrive juste derrière les deux élus PLR.
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