Privé de sa naturalisation, débouté par le Ministère public de la Confédération et le Tribunal pénal fédéral, l’imam de Viganello a convoqué les médias dimanche pour donner sa version des faits. A la suite d'une fuite dans le journal italien Libero, violant un embargo sur la décision du Tribunal pénal fédéral (TPF) de rejeter sa plainte, Samir Radouan Jelassi se défend. Il se dit victime d’un acharnement judiciaire et de la vengeance des services secrets suisses.

Selon la presse tessinoise, en mai 2014, Samir Radouan Jelassi obtenait la nationalité suisse à Lugano. Quatre ans plus tard, en septembre 2018, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) annulait sa naturalisation sur la base d’un préavis négatif du Service de renseignement de la Confédération (SRC), qui surveillait depuis un moment la mosquée de la Via Boscioro, craignant qu’elle ne devienne un lieu de radicalisation. A ce jour, ces soupçons n’ont pas été prouvés et n’ont abouti à aucune poursuite pénale.

Dans un courrier envoyé à l’imam en novembre 2017, le SEM soutenait que «des indices concrets démontrant son implication présumée dans le cadre du terrorisme islamique ont émergé». Plus tard, dans une décision datant du 14 septembre 2018, le SEM communiquait à Samir Radouan Jelassi la décision d’annuler sa naturalisation, avec cet argument: «Nous estimons que la personne concernée compromet durablement la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse, notamment en raison de son rôle public et, en particulier, de celui d’imam. C’est en effet grâce à son rôle de guide spirituel qu’une relation de confiance s’établit avec ses fidèles, les rendant facilement influençables.»

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Soupçons de radicalisation

Le SEM reproche notamment à Samir Radouan Jelassi – souvent salué comme l'«un des imams les plus modérés d’Europe» – que certains visiteurs de sa mosquée se soient radicalisés en devenant des combattants du djihad (notamment deux jeunes l’ayant fréquentée sont partis se battre, et mourir, en Irak et en Syrie), d’entretenir des liens avec des personnes soupçonnées de participer à des activités liées au terrorisme, et d’avoir été «évasif», et «insuffisamment transparent et coopératif» lors d’interrogations au cours d’enquêtes antiterroristes.

Pour Samir Radouan Jelassi, il s’agit d’une vengeance: «Le Service de renseignement de la Confédération voulait de moi une liste des personnes fréquentant la mosquée, et cela ne me semblait pas juste. Il me le fait payer ainsi.» Réfutant vigoureusement les griefs qu’on lui impute, il a contesté devant le Tribunal administratif fédéral la décision du SEM d’annuler sa naturalisation (la procédure est en cours). Il a par ailleurs déposé une plainte auprès du bureau du procureur général contre un «fonctionnaire inconnu de l’administration fédérale» pour diffamation, calomnie et abus de droit. Celle-ci a été rejetée par le Ministère public de la Confédération, décision confirmée depuis par le TPF.

Né en 1969 en Tunisie, Samir Radouan Jelassi, persécuté et torturé par le régime, est arrivé à 18 ans en France où il a étudié le droit et la théologie, et obtenu la citoyenneté française. Depuis qu’il est en Suisse, il a toujours travaillé en faveur de l’intégration et du dialogue interreligieux, affirme-t-il. «Je suis tout sauf un terroriste. C’est nous qui avons dénoncé au Ministère public un jeune homme de Lugano qui s’était radicalisé, et cela, pas à la mosquée. A la demande de son père, j’avais essayé de le dissuader.» Quant à d’éventuels fonds versés par une association controversée du Qatar, l’imam assure que sa mosquée ne reçoit aucun financement de l’étranger.