La nécessaire mue du plus vieux monastère capucin de Suisse
Tessin
Construit en 1535 juste au-dessus du petit village de Bigorio, le fameux couvent Santa Maria qui surplombe le lac de Lugano n’abrite aujourd’hui plus que trois frères. Pour survivre, la vénérable bâtisse s'ouvre à la diversité. La tradition bouddhique y sera conviée en 2019

Dans la région, tout le monde l’appelle familièrement «Il Bigorio» du nom de la localité qu’il surplombe de sa masse imposante. Tout en pierres de taille, entouré de palmiers, d’oliviers, de lauriers-roses. Une merveille d’harmonie et une vue imprenable à 360 degrés qui en font un des plus beaux monastères de Suisse.
L'âme de la vallée
Qui dit «Il Bigorio» pense tout de suite au couvent, aux frères capucins à la robe de bure brune attachée d’une cordelette blanche. Qui dit «Il Bigorio» pense encore, plus de trente ans après, à l’incendie dévastateur de 1987 lorsque la précieuse bibliothèque du couvent avait été sauvée par les volontaires accourus pour aider les pompiers à préserver les inestimables volumes de l’avancée des flammes.
Qui dit «Il Bigorio» pense à la traditionnelle chevauchée de l’Epiphanie lorsque les Rois Mages montent à cheval du bas de la vallée jusqu’à l’entrée de la petite église attenante au couvent où les attendent les enfants accourus des villages voisins, voire de Lugano, distant de 8 kilomètres. «Il Bigorio», c’est l’âme de la vallée et d’au-delà encore.
Nous y «montons» par un jour sans nuage. «Fra Roberto», qui l’a dirigé de 1966 à 2016 et, à 85 ans splendidement portés, en assume encore la responsabilité dans l’attente d’un successeur, nous y accueille. Le silence est feutré comme dans tout couvent de cet ordre. Dans cette grande bâtisse – maintes fois agrandie et restructurée au fil des siècles et qui comprend salles de conférences, musée, chapelle, cellules des frères, réfectoires, ou encore cuisine – ne vivent plus que trois capucins: Frère Roberto, Frère Ugo et Frère Michele, l’aumônier des prisons et des hôpitaux.
Les prémices du changement
«Comprenez bien, explique le charismatique Fra Roberto – artiste peintre et vitrier de renom –, dès les années 1960 déjà, mon prédécesseur Frère Callisto avait réalisé que le manque de vocation dans notre ordre s’aggraverait toujours davantage. Il avait ainsi décidé que le couvent ne devait pas rester une communauté fermée mais devenir «une maison ouverte» aux autres. Il s’agissait de mettre nos espaces à disposition des gens pour pallier cette crise.»
Au fil des ans, la voie empruntée par le couvent s’est consolidée et son choix d’ouverture au monde s’est révélé payant: «Au mieux de son occupation, dans les années 1950 du siècle dernier, le monastère comptait 12 frères», explique Fra Roberto, né Giuseppe Pasotti en 1933 à Bellinzone. Entré dans l’ordre en 1954 au couvent de Faido (TI), il y est resté jusqu’en 1966, date de son arrivée à Bigorio.
«Aujourd’hui, poursuit-il, nous autres capucins ne sommes que 17 dans tout le Tessin, ici, à Bellinzone et à Locarno. Depuis 2016 les frères tessinois n’appartiennent plus à la «Province helvétique» (la Congrégation suisse) mais dépendent désormais de la Lombardie qui nous assure son soutien logistique en cas de besoin.»
Crise de vocation plus aiguë en Suisse
Selon Fra Roberto, la Suisse connaît une crise de vocation bien plus aiguë que l’Italie: «Les scandales liés à la pédophilie ont fait davantage de bruit chez nous», estime-t-il même s’il admet que «le manque de vocation frappe indistinctement tous les pays riches, il est lié au changement de mentalité, à l’évolution de la société».
En 2011, Fra Roberto vit une crise personnelle. Il craint pour l’avenir de «son» couvent face à une relève générationnelle inexistante. Il faut garantir coûte que coûte la continuité du monastère. L’association Amici del Bigorio est fondée. Elle compte maintenant 1500 membres dont les cotisations annuelles financent les projets du monastère. L’association organise des séminaires, conférences, retraites spirituelles, séances de méditation, expositions, concerts. Autant d’évènements payants qui assurent l’avenir du vieux couvent.
Quand l’amour et la paix reculent
«En 2019, nous organiserons un séminaire sur le bouddhisme, une nouvelle initiative, centrée sur le thème de l’amour et de la paix. Nous vivons une crise car il n’y a plus ni amour ni paix mais seul le désir de tout posséder qui détruit l’homme, soupire le frère capucin. Je souhaite la continuité pour mon couvent, notre mission est d’être disponibles pour les autres.»
Notre entretien touche à sa fin, Fra Roberto a un agenda très chargé durant cette période de Noël. Une exposition de ses tableaux se tient ces jours-ci dans le sud du canton, il doit y faire un saut. Le coup de pinceau de ce juvénile capucin octogénaire est apprécié dans tout le Tessin et ses toiles ornent les murs du couvent à côté de tableaux des grands maîtres italiens. Dans le jardin du «Bigorio», les oliviers et les palmiers font un clin d’œil aux ruches à miel autour desquelles s’affaire un jeune apiculteur indien… ici aussi la multiculture.