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Du théâtre pour prévenir le cyber harcèlement entre jeunes

Insultes lancées sur les réseaux sociaux, moqueries partagées sur les chats aux yeux de tous : l'usage des nouveaux médias a décuplé les risques de mobbing entre élèves. A Fribourg, une pièce de théâtre interactive circulera dans les cycles d'orientation pour donner des moyens de prévention et d'action aux enseignants, comme aux adolescents

© Tirabosco
© Tirabosco

«Les gens comme toi, ça ne devrait pas exister.» «La prochaine fois que j’te vois, j’te viole.» Jamais Tami n’aurait pensé qu’elle recevrait un jour des messages aussi violents sur sa messagerie Whats­App. L’histoire du cyberharcèlement de la jeune fille débute par un malentendu entre trois amis d’enfance. Un petit groupe composé de deux filles, Tami et Vicky, ainsi que d’un garçon, Mo. Ils se connaissent depuis le jardin d’enfants et sont devenus des adolescents inséparables.

Mais un soir, alors que Tami discute sur WhatsApp avec ses copains, qu’ils se demandent s’ils vont aller au cinéma ou chez Starbucks, Vicky et Mo quittent la conversation l’un après l’autre, sans explication. L’imagination de Tami se met en marche: elle suppose que les deux jeunes gens sont tombés amoureux l’un de l’autre, qu’ils sortent ensemble et vont la délaisser. Aussi attristée que vexée, elle annonce qu’un nouveau couple s’est formé sur l’adresse WhatsApp de sa classe. Fâchés, ses deux amis ripostent: ils envoient sur le même canal une photo de Tami grimaçant, à laquelle ils ajoutent une grande bouche et cette légende: «Tami, la super nympho». Transmise de téléphone portable en téléphone portable, l’image fait le tour de l’école et déclenche des commentaires de plus en plus brutaux: Tami ne dort plus, n’ose se confier à personne et sombre dans la déprime.Coupez! Ce scénario est fictif. Il s’arrête là, sans que l’on sache ce que va faire la jeune fille: demander de l’aide, tomber malade, commettre un geste désespéré. Cette trame sert de fil conducteur à une pièce de théâtre interactive de la compagnie Le Caméléon. Jouée jeudi devant des classes du cycle d’orientation de Morat, elle constitue un nouvel outil de prévention et donne des pistes pour désamorcer les situations délicates. Après une première séquence, la pièce est rejouée, les élèves sont incités à l’interrompre pour participer au scénario. Le spectacle s’accompagne d’un dossier pédagogique à l’intention des enseignants pour poursuivre la discussion en classe.

Demande des écoles

Ce matériel a été commandé par les directions de la Santé et de l’Instruction publique du canton de Fribourg à l’association Reper, spécialisée dans la promotion de la santé et de la prévention. La démarche répond à une demande des établissements scolaires, souvent démunis face au cyberharcèlement. «Les enseignants souhaitaient disposer d’outils pour traiter de cette thématique, car, avec l’utilisation des médias numériques, la diffusion de textes, d’images et de films malveillants ou diffamatoires via téléphone mobile ou Internet a augmenté», explique la conseillère d’Etat Anne-Claude Demierre.

Les caractéristiques de ce mobbing? Une humiliation publique via les médias sociaux, perpétrée par un proche de la victime ou un auteur anonyme, le tout ne laissant pas de répit. Le phénomène rejoint celui du bouc émissaire du préau, mais les moqueries et les humiliations sont amplifiées par le porte-voix que constituent les réseaux sociaux. Elles ne cessent pas après l’école, et, inscrites sur un mur Facebook ou une messagerie, ne disparaissent pas.

10 à 20% de jeunes peuvent être concernés par le cyberharcèlement

Le phénomène est difficile à quantifier. Selon l’enquête «James» sur l’utilisation des médias par les jeunes en 2014, 25% des filles et 21% des garçons ont répondu «oui» à la question: «Quelqu’un a-t-il voulu te régler ton compte sur Internet?» «Même s’il est parfois difficile de tracer une limite claire entre ce qui peut être considéré comme drôle et ce qui est ressenti comme offensant, 10 à 20% de jeunes peuvent être concernés par le cyberharcèlement», estime Anne-Claude Demierre.

Pour Michel Bussard, conseiller pédagogique à l’Instruction publique fribourgeoise, «chaque cas doit être pris au sérieux». «Les mises à l’écart, l’isolement, les moqueries, les vexations, les injures, les photos modifiées: chaque situation est grave et fait des dégâts. Les victimes ont un sentiment de honte, elles perdent confiance en elles et les auteurs n’en ont pas forcément conscience. On le sait maintenant: il ne faut pas seulement aider les victimes, mais également travailler avec les harceleurs et les témoins, qui ont peur de parler et de s’opposer à l’agresseur par peur des représailles.» Aujourd’hui, Fribourg fait œuvre de pionnier avec son programme de prévention. Conçu en français et en allemand, il intéresse déjà plusieurs autres cantons.

La Suisse n’a pas connu de situations aussi médiatisées que d’autres pays, comme le Canada: en 2012, l’histoire d’Amanda Todd, une jeune fille qui s’est donné la mort après avoir décrit son calvaire sur YouTube, par une suite de petits billets, avait fait le tour des réseaux sociaux. En France, le Ministère de l’éducation nationale a décrété, chaque 5 novembre, une journée de lutte contre le harcèlement à l’école.

Certaines histoires finissent bien. Dans l’Hexagone, Marie Lopez, alias Enjoy Phoenix, est devenue le symbole des jeunes qui reprennent confiance en eux. Harcelée des mois durant, sur Internet notamment, la jeune fille est aujourd’hui une star du conseil beauté sur YouTube. A côté de cela, elle fait de la prévention du harcèlement l’un de ses combats.