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A La Tour-de-Trême, la peur d'être englouti pourrait faire capoter un mariage de raison avec Bulle

Le 26 septembre, les Tourains se prononceront sur un référendum qui veut empêcher la fusion avec les Bullois

Le mariage s'annonçait somptueux. En avril dernier, les législatifs de Bulle et La Tour-de-Trême ont en effet décidé à une très large majorité de fusionner. La nouvelle unité administrative devrait regrouper environ 16 000 citoyens dès le 1er janvier 2006. Mais cette union, la plus importante de Suisse romande, ne sera peut-être pas consommée. La faute à des citoyens de La Tour-de-Trême qui n'en veulent pas. Un comité emmené par l'ancien conseiller communal Charles Brasey a lancé le référendum. Les paraphes nécessaires récoltés, le projet de fusion passera donc à l'incertaine moulinette des urnes le 26 septembre prochain. Face à des arguments économiques et financiers qui plaident tous en faveur du rapprochement, ces irréductibles évoquent la fierté d'être tourain, leur volonté d'indépendance et leurs craintes par rapport à un projet «trop beau pour être vrai».

Les réfractaires au mariage se recrutent dans toutes les formations politiques. Et ils sont habiles. Intitulé de leur campagne de récolte de signatures: «Souhaitez-vous être consulté sur la fusion avec Bulle?» Ne serait-ce que pour avoir voix au chapitre, certains «unionistes» ont ainsi signé le document. D'ailleurs, les autorités font contre mauvaise fortune bon cœur. Yves Menoud, syndic démocrate-chrétien de La Tour, estime «normal» que le peuple ait à se prononcer sur le projet. Mais il concède aussitôt que le résultat du processus en devient plus aléatoire et qu'il faudra retrousser ses manches pour gagner.

Reste que l'idéal démocratique n'est pas l'ultima ratio des opposants. Avec son fier accent gruérien, Charles Brasey ne veut pas de la fusion. «La Tour-de-Trême va perdre la maîtrise de son destin, prévient ce paysan au ton décidé. Notre identité villageoise va disparaître. Regardez les armoiries de la nouvelle commune! Le taureau bullois pisse dans le petit filet d'eau qui représente la Trême. Le symbole de la tour n'existe plus. Cette absence de référence à l'identité touraine sur le blason touche une corde sensible.»

Mais le déplacement d'une partie de l'administration communale à Bulle et la faible représentation des Tourains dans les futures autorités sont d'autres arguments des partisans du «chacun chez soi». «Minorisés, nous n'aurons plus notre mot à dire. Je ne suis pas contre une extension des collaborations, mais nous devons garder la maîtrise politique», tonne Charles Brasey. Le Gruérien ne veut croire ni à l'impartialité des nouvelles autorités ni à un développement équitable entre les deux territoires. Ce dualisme se retrouve au centre de bon nombre d'arguments des référendaires.

La conseillère communale et députée Anne-Claude Demierre rejette avec force ce point de vue: «Les nouveaux élus, d'où qu'ils proviennent, vont bien évidemment réfléchir au développement de toute la commune. Il serait impensable, même schizophrénique, d'entrevoir un autre mode de fonctionnement. Le but est d'assurer la prospérité à toute une population. Face aux transferts de charges du canton vers les communes et au projet de Nouvelle politique régionale qui visent à affaiblir encore davantage l'arrière-pays, se renforcer pour laisser à nos enfants des structures saines et solides est un impératif.»

Derrière les arguments passionnels, les opposants peinent d'ailleurs à contrer la série d'avantages objectifs qui poussent au mariage. Selon les experts de l'IDHEAP, des économies d'échelle seront réalisées et des prestations supplémentaires – notamment une crèche, une police locale et un soutien accru aux sociétés sportives ou culturelles – seront offertes à la population. La question du personnel devrait également se résoudre sans licenciement. Enfin, le problème des impôts a été réglé de manière pragmatique, en intégrant les avantages et désavantages offerts par les deux communes.

Pourtant, Charles Brasey ne veut pas croire à ces belles promesses: «Tout cela est bien joli. Avec des experts, on arrive de toute manière à faire passer n'importe quel message. Et je ne suis pas sûr que les baisses d'impôts soient importantes, qu'il n'y aura pas de compression de personnel ou que des sociétés locales ne disparaîtront pas.» C'est bien en définitive cette crainte de l'avenir qui s'impose comme le véritable moteur de la résistance anti-fusion. Et les opposants tenteront donc ces prochaines semaines de changer le cours d'une réalité qui plaide, elle, pour l'utilité d'un avenir à deux.

Les autorités n'entendent d'ailleurs pas se laisser déborder. D'ici à la fin août, ils prendront le temps d'informer les citoyens sur les tenants et aboutissants de la fusion. «Par son devoir de réserve, le Conseil communal ne va pas répondre à tous les arguments, parfois démagogiques, des opposants. En revanche, nous allons lancer une large campagne d'information. Et nous serons prêts à répondre point par point aux interrogations des Tourains», conclut Yves Menoud. Un comité en faveur de la fusion a également été créé. Il devrait également rentrer dans la bataille prochainement.