A Neuchâtel, l'affaire avait fait grand bruit. Le 9 mars 2003, dans la Collégiale du chef-lieu, le pasteur Théo Buss débute sa prédication, retransmise sur les ondes de la Radio suisse romande. Son thème: «Dieu préfère les opprimés.» Son argumentation: la comparaison des destins de Max Havelaar, pionnier de la défense des indigènes, et de Pierre Alexandre Du Peyrou (1729-1794), une figure de l'histoire locale, qui fit construire et donna son nom à un hôtel particulier sis à Neuchâtel, faubourg de l'Hôpital.

Scandale à Neuchâtel

Au centre de la prédication du pasteur – et de la polémique qui va en découler –, deux phrases: «Pierre Alexandre Du Peyrou tirait l'essentiel de ses rentes de l'exploitation des esclaves qu'il possédait au Surinam. […] Du Peyrou est en bonne compagnie; il n'est de loin pas le seul qui ait profité de l'entreprise coloniale, même si la Suisse n'avait pas de colonies: il y a eu des de Meuron, il y a eu David de Pury, considéré comme le bienfaiteur de notre ville.»

Stupeur et malaise. Même si les historiens qui se sont penchés sur le sujet disent ne pas avoir de preuve tangible de l'implication d'un David de Pury dans l'esclavagisme, le mal était fait. Les lettres de protestation se sont succédé; le député libéral-PPN au Grand Conseil, Claude Zweiacker, a fait part de sa colère aux lecteurs de Réalités neuchâteloises, l'organe du parti; l'affaire a trouvé son terme par une mise au point publiée par La Vie protestante, dans laquelle les autorités paroissiales se sont distanciées des propos du pasteur.

Cette querelle neuchâteloise est révélatrice. Depuis une année, l'implication de Suisses dans l'esclavagisme remue les esprits. Ainsi, naît un objet de recherche historique, auquel l'Université de Lausanne a consacré un premier colloque en novembre 2003. Après l'affaire des fonds juifs et celle des relations de la Suisse avec l'Afrique du Sud de l'apartheid, un nouveau débat politico-historique émerge.

D'un cabaret saint-gallois au Conseil fédéral

Le mérite en revient à un cabarettiste saint-gallois, par ailleurs enseignant en histoire et ancien député socialiste au Grand conseil. En 2001, Hans Fässler cherche une idée de spectacle pour commémorer le bicentenaire de son canton. Il jette son dévolu sur Toussaint Louverture, héros de l'indépendance haïtienne, emprisonné au Fort de Joux, près de Pontarlier, où il est décédé en 1803. Hans Fässler découvre au fil de ses recherches que des commerçants de l'Est de la Suisse se seraient enrichis en finançant des transports d'esclaves.

Le spectacle de Hans Fässler, «Louverture stirbt 1803», gagna en résonance grâce à la Conférence mondiale contre le racisme de Durban en 2001. La conseillère nationale Pia Hollenstein (Verts/SG), interpelle, le 5 mars 2003, le Conseil fédéral sur la «participation de la Suisse à l'esclavage et au commerce transatlantique des esclaves». En décembre, le gouvernement, par la bouche de Micheline Calmy-Rey, répond que le «Conseil fédéral regrette que des citoyens suisses aient pu être impliqués dans le commerce des esclaves, mais rappelle que la Suisse n'a pas été une puissance coloniale et n'a pas été impliquée dans ce commerce.» En parallèle, divers postulats et interpellations ont été déposés dans onze cantons (Neuchâtel, Vaud, Genève, Berne, Bâle-Ville, Zurich, Saint-Gall, Appenzell Rhodes-Extérieures, Thurgovie, Schaffhouse, Grisons) et trois villes (Saint-Gall, Zurich, Bâle).