A quelques jours de la session de printemps des Chambres fédérales, Transparency International Suisse (TI Suisse) publie un rapport sévère sur le lobbyisme et la transparence de la vie politique. Elle attribue à la Suisse la note «médiocre» et la classe au onzième rang des 19 pays européens examinés. Jugé légitime dans un système parlementaire de milice, le lobbyisme a déjà été beaucoup étudié et documenté. L’enquête de TI Suisse apporte un éclairage nouveau sur un aspect moins connu: les intergroupes parlementaires. Autorisés par la loi, ces organes réunissent des élus fédéraux de tous bords qui s’intéressent à un domaine spécifique. Ils peuvent disposer de locaux pour leurs réunions et doivent s’annoncer aux Services du parlement, qui les consignent dans un registre.

Il en existe aujourd’hui plus de 150, qui s’intéressent, en vrac, aux relations entre la Suisse et d’autres Etats, au travail, à la vieillesse, au handicap, à la montagne, à l’innovation, à la biodiversité, à la musique, aux drogues, à la mobilité électrique, au sport féminin, à la politique familiale, à la langue des signes, aux sapeurs-pompiers, la liste est longue et variée. L’enquête de TI Suisse révèle que «plus de cent secrétariats, soit deux tiers de tous les intergroupes parlementaires, sont dirigés par des lobbyistes externes». La proportion atteint même 90% pour les comités purement thématiques. Quelques exemples: le secrétariat de l’intergroupe Politique de la paix est assuré par Swisspeace, celui de la Mobilité douce par Pro Velo, celui de la Souveraineté alimentaire par Uniterre, etc. Certains secrétariats sont même ancrés dans des agences de relations publiques. Et ce sont souvent les chambres de commerce qui s’occupent des tâches administratives des groupements consacrés aux relations entre la Suisse et un Etat étranger.

2000 liens de toute nature

TI Suisse qualifie ces organes de «cercles fermés» dans lesquels les lobbyistes peuvent exercer leur influence sans trop de contraintes. Certes, ils n’ont aucune compétence législative, mais ils réunissent des élus qui relaient ensuite les problématiques traitées dans des interventions parlementaires ou au sein de leur groupe politique. «Il est particulièrement attractif pour les lobbyistes de s’immiscer dans ces intergroupes», relève le rapport de TI Suisse. L’organisation regrette le manque de transparence qui entoure leur composition.

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L’enquête menée par TI Suisse établit l’existence de 2000 liens de toute nature entre les parlementaires et des groupes d’intérêts. Elle observe que 1700 organisations ont un lien avec un ou une député(e). Chaque membre du Conseil national déclare huit mandats en moyenne, contre six seulement pour les conseillers et conseillères aux Etats. Ces chiffres sont en nette augmentation depuis vingt ans.

Commissions exposées

TI Suisse a aussi cherché à identifier les commissions les plus exposées aux groupes de pression. Quatre se détachent des autres: celles qui ont la charge des transports et télécommunications (CTT), de la sécurité sociale et santé publique (CSSS), de l’environnement, aménagement du territoire et énergie (CEATE), de l’économie et des redevances (CER). Les deux CSSS restent les instances où se concentrent le plus grand nombre d’intérêts: leurs 38 membres ont déclaré plus de 90 liens avec des organisations du secteur de la santé et des assurances sociales. Et la majorité des membres de la CSSS des Etats «exercent un mandat directement lié au secteur des assurances ou à un groupement proche», selon la statistique établie par TI Suisse.

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Les parlementaires sont tenus d’annoncer leurs liens d’intérêts ainsi que la liste des personnes (358 à l’automne 2018) auxquelles ils donnent un badge d’accès au parlement. Transparency regrette cependant l’insuffisance des informations publiées. «Ce registre ne reflète qu’une fraction de la réalité», critique la gardienne de la transparence. Certaines activités et surtout les rémunérations échappent à l’obligation de déclaration.

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En fin de rapport, TI Suisse émet une dizaine de recommandations. Elle demande le recueil systématique de l’«empreinte législative». En d’autres termes, les jeux d’influences exercés à toutes les étapes du processus législatif doivent pouvoir être identifiés. Pointée du doigt par le Groupe d’Etats contre la corruption (Greco) du Conseil de l’Europe, la transparence du financement de la vie politique est une autre revendication de TI. Une initiative populaire consacrée à ce sujet est dans les mains du parlement. Un code de conduite et la transparence de tous les liens et rémunérations sont exigés pour les parlementaires. Un délai de carence doit être imposé aux conseillers fédéraux après leur départ s’il existe un risque de conflit d’intérêts. Et des règles plus strictes doivent être imposées aux lobbyistes, l’autoréglementation mise sur pied par la branche étant jugée insuffisante.