Comme dit avec humour le porte-parole d'Adolf Ogi, Oswald Sigg, l'Office central de la défense (OCD), dissous en 1998, a livré là son «testament». Theodor Winkler, directeur adjoint de la Politique de sécurité et de défense, s'en serait volontiers passé. De quoi s'agit-il? L'OCD a rédigé un projet de rapport, bizarrement daté d'août 1999, sur les risques qui menacent la sécurité de la Suisse, ont révélé 24 heures et la Tribune de Genève dans leur édition de jeudi. Ce projet de rapport, dont le Département fédéral de la défense (DDPS) confirme l'existence, est en réalité une mise à jour des travaux effectués depuis 1992 par l'OCD sur mandat de l'ex-Département militaire fédéral, conformément à une motion du parlement de l'époque.

«Vision catastrophiste»

Les risques énumérés par l'OCD relèvent d'une «vision catastrophiste», déplore un cadre du DDPS. Le projet de rapport, intitulé Risikoprofil Schweiz, contient 34 scénarios-catastrophes qui intéressent la Suisse pour les vingt-cinq prochaines années. L'OCD les a jugés selon leur degré de vraisemblance. En voici quelques exemples. La nature est un danger: sécheresse (100 morts), inondations (pour 2 milliards de francs de dégâts), tempêtes. L'approvisionnement du pays n'est pas à l'abri des guerres, des boycotts (pétrole, etc.), des catastrophes naturelles et des accidents nucléaires. Tout cela se chiffre en milliards de francs.

Très vraisemblable, ensuite: la Suisse va devenir moins concurrentielle, il y aura une crise bancaire. On parle de 700 000 personnes à assister. Coût: 50 milliards de francs. La population va vieillir; il y aura des épidémies; 150 000 réfugiés originaires de pays musulmans arriveront en Suisse; on se dirige vers une guerre informatique qui fera des victimes (10 morts, 100 blessés, 20 milliards de francs de dommages); l'OTAN, scénario «très vraisemblable», va imploser, ce qui provoquera des conflits débordant sur la Suisse orientale (15 000 morts, 50 000 blessés, 10 milliards de francs de dégâts); enfin, la cohésion nationale ne cessera pas de s'effriter (un nouveau «non» à l'Europe n'arrangerait rien).

«Projet axiomatiquement défaillant»

Theodor Winkler juge ce projet de rapport globalement dépassé: «Il est axiomatiquement défaillant car il confond des faits et des risques; les scénarios présentent des défauts; enfin, des scénarios qui intéressent sérieusement la Suisse, je pense à la crise balkanique et au mouvement néonazi, sont absents.» Theodor Winkler travaille au secrétariat général du DDPS, qui a hérité début 1999 d'une dizaine d'employés de l'OCD après la dissolution de celui-ci. Suite à ce transfert, le haut fonctionnaire découvre les scénarios «catastrophes» élaborés par l'OCD. Il en est insatisfait et décide de confier, à compter de janvier 2000, ce travail à un institut de polémologie de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich qui le reprendra sur la base d'une collaboration internationale, via Internet.

Dans l'intervalle, les gens de l'ex-OCD, apparemment désœuvrés au secrétariat général du DDPS, poursuivent tout de même leur mandat. Cela aboutit à une brochure datée d'août 1999, dont il existe une dizaine d'exemplaires, avec, en couverture, le sigle de l'OCD. Theodor Winkler est fâché du fait – «Je viens de le découvrir», assure-t-il – que cette brochure soit éditée au nom du secrétariat général du DDPS. «Jamais nous n'avons voulu cautionner ce projet de rapport, affirme le haut fonctionnaire. Mais ce n'est pas si grave.» En effet, le responsable désigné de ce «couac» a pris sa retraite cette année.