Le Tribunal cantonal du Valais a destitué le juge d'instruction Addor
VALAIS
De mémoire d'homme, jamais encore la Haute Cour n'avait démis un magistrat. Les manœuvres entreprises dans le cadre de l'affaire Téléverbier l'ont conduite à cette extrémité. De son côté, le Grand Conseil a choisi de «dépassionner le débat». Il n'a pas voulu d'une commission d'enquête et attendra pour décider d'une expertise de la justice valaisanne.
«Par décision du 2 février 2001, le Tribunal cantonal a mis un terme aux fonctions de juge d'instruction de Monsieur Jean-Luc Addor.» La nouvelle est tombée hier en fin d'après-midi, mais elle circulait déjà parmi les députés du Grand Conseil qui, à titre exceptionnel, siégeait à Montana. Pour les annales de la justice valaisanne, cette mise à pied d'un juge d'instruction a valeur de première, et en a d'ailleurs surpris plus d'un.
Trois affaires et le rôle qu'il s'est cru en droit d'y jouer ont été fatals au magistrat: la dernière en date découle de l'entrée de la très française Compagnie des Alpes dans le capital de la société de remontées mécaniques Téléverbier, tandis que le Tribunal fédéral avait exigé sa récusation pour partialité dans le cadre des deux autres, dites du Casino de Saxon et de Crans-Montana.
Le dossier Téléverbier a lourdement pesé dans la balance, aussi embrouillé soit-il: les relations que Jean-Luc Addor a entretenues avec les personnes qui ont déposé plainte contre la société de Verbier ont motivé dès l'automne dernier l'ouverture d'une enquête pour violation du secret de fonction, voire abus d'autorité. Le Tribunal cantonal avait alors dénoncé ces infractions à un juge extraordinaire, Edgar Métral. Puis le 27 novembre, la même Cour avait retiré au juge d'instruction le droit d'ouvrir des enquêtes.
Suite à une procédure ouverte par le magistrat contesté, le Tribunal fédéral a récemment confirmé la légitimité du juge Métral, qui avait déjà largement instruit cette affaire. Dès lors, le Tribunal cantonal s'est résolu à mettre à pied Jean-Luc Addor. C'est dire que cette Cour est convaincue que le juge d'instruction s'est impliqué de manière secrète dans les manœuvres des patrons des remontées mécaniques de Veysonnaz, Jean-Marie Fournier et Philippe Lathion, pour pousser l'homme d'affaires Hervé Valette à déposer plainte contre Téléverbier.
Hier l'avocat de Jean-Luc Addor, Me Christian Favre, regrettait que «le Tribunal cantonal n'ait pas tenu compte de la présomption d'innocence contre son client avant de prendre des sanctions. Le juge Addor a conservé toute l'indépendance requise. Tout au plus a-t-il commis un excès de zèle».
Cet «excès de zèle» a toutefois été perçu par certains groupes politiques du Grand Conseil comme une instrumentalisation de la justice à des fins économiques. «Il existe dans ce canton une mentalité qui permet à certains de combiner avec un juge pour lancer une enquête. Ce sont les gens qui agissent de cette manière qui salissent la justice», a déclaré hier le député socialiste Henri Carron lors des débats parlementaires consacrés à l'affaire. A cette occasion, le Grand Conseil s'est penché sur la proposition des socialistes de nommer une commission d'enquête parlementaire. Les autres groupes politiques ont refusé d'entrer en matière. Les radicaux et libéraux auraient préféré une expertise de la justice valaisanne par des juristes extérieurs au canton, comme cela s'est fait à Fribourg. Mais les différentes fractions du groupe démocrate-chrétien, qui tiennent la majorité, s'étaient entendues pour assortir cette expertise d'une analyse préalable de la Commission de justice.
Le chef du groupe PDC, Georges Mariétan, a estimé qu'il était «judicieux de procéder à un examen de la nature des mesures à prendre» et qu'il fallait «dépassionner le débat». Au vote, 56 voix contre 50 se sont prononcées en faveur de cette solution. Du coup, l'hypothèse d'une expertise est renvoyée au nouveau parlement qui sortira des urnes au mois de mars prochain, et se réunira en session au mois de mai.