La justice est appelée à devenir plus dure avec les inconscients. Six ans de prison pour un chauffard qui avait perdu la maîtrise de sa Subaru Impreza à une vitesse estimée à au moins 188 km/h sur l’autoroute, près de Wolhusen (LU), dans une courbe limitée à 100 km/h, causant la mort de ses deux passagers une nuit de juin 2005: dans un jugement destiné à faire jurisprudence diffusé jeudi, le Tribunal fédéral a confirmé la peine infligée par la justice lucernoise pour homicide par négligence et mise en danger de la vie d’autrui.
C’est la première fois que la plus haute juridiction se prononce explicitement sur cette double qualification pour un seul et même comportement fautif et la juge admissible, ouvrant la voie à des peines nettement plus sévères que jusqu’ici.
Aux yeux des juges, l’homicide par négligence peut être retenu «en concours» avec l’infraction dont se rend coupable celui qui «sans scrupule, aura mis autrui en danger de mort imminent.» Le cumul de ces deux infractions permet aux tribunaux de prononcer des peines allant jusqu’à 7 ans et demi de prison. C’est beaucoup plus que les trois ans au maximum que pouvait valoir jusqu’ici le seul homicide par négligence, et c’est une fois et demi les cinq au plus risqués par celui qui mettait en danger la vie d’autrui.
Ce jugement intervient alors que le débat sur les mesures à prendre contre ceux qui adoptent un comportement totalement inadapté au volant vient d’être relancé. Il y a dix jours, la fondation RoadCross, qui défend les victimes de la route, épaulée par un comité interpartis rassemblant large, de l’écologiste vaudois Luc Recordon à l’UDC bernois Adrian Amstutz, a commencé à récolter des signatures en faveur d’une initiative populaire réclamant plus de sévérité contre les chauffards: peines aggravées, retraits de permis plus systématiques, et même confiscation du véhicule.
Le Parlement n’ignore pas non plus les appels à une plus grande rigueur. A fin avril également, la commission des affaires juridiques du Conseil national a approuvé une série de propositions en faveur de sanctions plus dures, mais demandant aussi une amélioration de la prévention. «La nécessité de légiférer est incontestable», a reconnu la commission.
Depuis plusieurs années, l’adéquation de la législation en vigueur et des réponses qu’elle permet aux comportements extrêmes sur la route est remise en question. Dans ce contexte, la jurisprudence du Tribunal fédéral a connu une première évolution décisive lorsque les juges ont officialisé la possibilité de retenir la qualification de meurtre «par dol éventuel» dans les cas d’accidents mortels où la faute du responsable apparaissait d’une gravité exceptionnelle.
Il est rapidement apparu que cette jurisprudence n’offrait pas de solution pleinement satisfaisante aux problèmes posés. En pratique, le «dol éventuel», soit un comportement apparaissant quasi intentionnel tant il démontre que celui qui l’adopte a accepté l’idée d’une issue fatale, est difficile à établir. Et le Tribunal fédéral, après avoir posé le principe, a été amené à en limiter l’application à des situations très particulières.
Conscient de l’impasse, les services d’Eveline Widmer-Schlumpf ont décidé de reprendre la question en profondeur dans un cadre plus large. A la demande du Parlement, le Département fédéral de justice et police procède en effet à une évaluation globale de l’échelle des peines applicables à chaque délit, et va examiner plus particulièrement si les sanctions frappant les chauffards ne doivent pas être durcies. A cet égard, la comparaison avec le droit en vigueur en France et en Allemagne fait ressortir la clémence particulière de la loi suisse. Le droit allemand punit l’homicide par négligence d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison, et l’homicide involontaire ensuite d’un manquement grave aux règles de la circulation routière peut valoir jusqu’à 7 ans de prison en France.