C’était un arrêt très attendu que celui qu’a prononcé le Tribunal fédéral ce jeudi 17 mai à Lausanne. Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du nouveau droit de garde et de l’entretien de l’enfant en janvier 2017, il a délibéré sur la méthode de calcul en cas de séparation d’un couple marié ou non. Le parlement n’avait pas voulu prendre position sur le sujet. Le TF a retenu la «méthode des frais de subsistance», qui couvre les besoins minimaux de l’enfant et du «conjoint gardien». En revanche, il n’a pas pris de décision définitive à propos de la règle dite des «10/16», qui concerne le moment où le partenaire ayant la garde de l’enfant doit reprendre le travail.

L’affaire qui a occupé la deuxième cour de droit civil oppose un ressortissant syrien et son épouse, une Suissesse, qui ont un enfant de bientôt 4 ans. En novembre 2015, la mère a déposé une requête de mesures protectrices de l’union conjugale. En mai 2017, la Cour de justice du canton de Genève a condamné le mari à lui verser un montant mensuel de 2070 francs. Celui-ci comprend une contribution de prise en charge, calculée en fonction des dépenses non couvertes de l’épouse, en sus du montant relatif aux frais effectifs de l’enfant.

Couverture des besoins essentiels

Depuis son entrée en vigueur, ce nouveau droit a fait couler beaucoup d’encre. Chaque canton y est allé de sa propre partition quant à sa mise en œuvre, ce qui a provoqué une véritable cacophonie en Suisse. Il était donc temps que le Tribunal fédéral y mette fin. Ce qu’il a fait en déclarant – à quatre voix contre une – que les tribunaux devaient désormais se baser sur la «méthode des frais de subsistance», celle qu’applique au demeurant déjà le canton de Genève.

Cette méthode couvre les besoins essentiels de l’enfant comme du parent qui s’en occupe. Soit le minimum vital selon les calculs de l’Office des poursuites: le loyer, l’assurance maladie et les frais de déplacement. Le Tribunal fédéral l’a jugée comme étant la plus appropriée pour répondre aux buts du législateur. Pourquoi? Parce qu’elle ne fait que compenser la perte du revenu auquel pourrait prétendre le parent s’il ne devait pas garder l’enfant. Pour le TF, il n’est pas question de «rémunérer» la personne qui fournit les soins en favorisant par exemple un modèle basé sur des tabelles forfaitaires. Le nouveau droit de l’entretien de l’enfant n’a en effet pas pour but d’améliorer le train de vie du conjoint gardien.

Le mari syrien, qui touche un salaire net d’environ 4500 francs, avait fait recours, parlant d’une décision «arbitraire» de la cour genevoise le plongeant dans une «situation financière dramatique». Il estimait que sa femme, qui avait été agente de sécurité par le passé avant de devoir arrêter de travailler pour des raisons de santé, pourrait reprendre un emploi à temps partiel de l’ordre de 40 à 50%.

Un signal pour la réinsertion professionnelle

Le TF n’est pas allé aussi loin. Sur le problème de l’emploi hypothétique, soit celui que l’épouse devrait retrouver au fur et à mesure que son enfant grandit, le Tribunal fédéral s’est montré divisé. Jusqu’à présent, il avait appliqué la règle dite des «10/16», impliquant que le conjoint gardien de l’enfant peut travailler à 50% dès que l’enfant a 10 ans et à 100% dès qu’il a 16 ans. Ces dernières années, cette règle a cependant été assouplie dans divers cantons. Dans le cas présent, la Cour de justice genevoise a admis un emploi hypothétique de 30% – les 12 heures lors desquelles l’enfant est à la crèche – pour la mère, soit un revenu mensuel de 950 francs qui a été déduit de la contribution d’entretien. Le TF n’a rien trouvé à redire à ce calcul.

Cela dit, l’un des juges, Luca Marazzi, aurait tout de même préféré que la cour renonce à tout considérant à ce sujet. Le TF n’a finalement pas accédé à cette requête. Il estime que la société évolue sur ce plan et qu’il est important de donner un signal pour encourager la réinsertion professionnelle dans la mesure du raisonnable. Mais sa décision dans ce cas particulier n’aura pas de portée jurisprudentielle. Il promet d’aborder plus spécifiquement ce point dans un prochain arrêt.


La garde alternée comme modèle prioritaire

A l’occasion de ses dix ans, l’Association suisse pour la coparentalité (GeCoBi), dont la Coordination romande des organisations paternelles (CROP) est partenaire, a publié une brochure qui est un plaidoyer en faveur de la garde alternée en tant que modèle prioritaire lors d’une séparation des parents.

La limite est encore floue, mais on commence à parler de garde alternée lorsque chacun des parents assume au moins 30% de la prise en charge d’un enfant. Longtemps, le Code civil a subordonné celle-ci au consentement des deux parents. La loi relative à l’autorité parentale conjointe, entrée en vigueur en 2014, puis la révision du droit de l’enfant l’an dernier, ont constitué un changement de paradigmes. Un tribunal peut désormais décider de la garde partagée contre la volonté d’un des parents. La question est désormais de savoir si elle doit être considérée comme un modèle prioritaire ou non.

Des enfants plus épanouis

En 2017, le Département fédéral de justice et police de Simonetta Sommaruga a certes considéré la garde alternée comme étant utile et bénéfique dans de nombreux cas, mais sans en faire un modèle prioritaire. C’est ce que conteste l’association GeCoBi, qui estime qu’il existe suffisamment d’études scientifiques pour l’adopter.

Ce point de vue se base notamment sur les travaux de la professeure en psychologie de l’adolescent Linda Nielsen. Celle-ci a procédé à une analyse critique de 60 études comparant le bien-être des enfants en garde alternée avec celui des enfants en garde unique. Il en ressort que les enfants en garde partagée sont plus épanouis, même en cas de conflits entre les parents et même lorsque ceux-ci n’ont pas choisi ce modèle au départ. Le maintien de liens forts et durables avec les deux parents semble ainsi compenser les dommages dus aux mauvaises relations entre les parents.

Dès lors, l’association GeCoBi et la CROP attendent des tribunaux qu’ils ordonnent la garde alternée même contre la volonté d’un des parents et qu’ils fassent en sorte que la parentalité soit vécue de manière paritaire. Cela implique aussi que les juges ne fixent pas des contributions d’entretien «exorbitantes» pour le parent – le plus souvent le père – s’occupant le moins souvent de ses enfants.