Nouveau rebondissement dans l’affaire Khaled Nezzar: le général algérien n’est toujours pas tiré d’affaire en Suisse. Accusé par trois plaignants, depuis 2011, de torture et de détentions arbitraires, celui qui était le chef de l’armée algérienne entre 1992 et 1994 dans la période de la «sale guerre» antiterroriste devra peut-être faire face un jour à des juges helvétiques.

Le 4 janvier dernier, le procureur fédéral Stefan Waespi, sur les instructions de sa hiérarchie, avait classé l’affaire en prétendant qu’il n’y avait à l’époque pas de conflit armé entre le Groupe islamiste armé (GIA) et l’armée algérienne.

Au cœur de cette affaire, la notion de conflit armé telle que définie par le CICR présuppose deux éléments: un niveau minimal d’intensité du conflit et la présence de groupes rebelles organisés. Des conditions remplies, selon le Tribunal pénal fédéral, comme il l’indique dans son arrêt rendu aujourd’hui. Précisant que sa décision est sans appel, la cour estime que: «Contrairement à ce qu’avait retenu le MPC, le GIA remplissait les conditions d’un groupe armé.»

Immense soulagement

Responsable du recours, l’avocat Damien Chervaz ne cache pas sa satisfaction: «C’est un immense soulagement pour les victimes, qui voient enfin leurs souffrances reconnues.» Il ajoute: «Le prétexte utilisé par le MPC pour clore l’affaire n’a pas résisté à l’examen des juges. Le MPC est maintenant face à ses responsabilités.»

Se basant sur les preuves amenées par les parties plaignantes et les nombreuses auditions réalisées par le MPC, donc celle de Khaled Nezzar et celle d'un témoin qui relate l’assassinat de deux membres du front islamique en Allemagne, les juges ont considéré que le général ne pouvait ignorer les crimes commis par ses troupes. «En l’espèce, il ne fait aucun doute que Nezzar était conscient des actes commis sous ses ordres», indique le TPF. Les juges ajoutent qu’il pourrait s’être rendu coupable non seulement de crimes de guerre, mais aussi de crimes contre l’humanité, tous deux imprescriptibles: «Les faits reprochés pourraient avoir été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre la population civile.» 

Encore un procureur de plus

Une décision qui fait espérer à l’ONG Trial International que le général soit finalement jugé en Suisse et que l’instruction du procès reprenne dans les plus brefs délais. Bénédict de Moerloose, responsable du département enquêtes au sein de l’ONG, affirme: «Le MPC doit maintenant prendre à bras-le-corps une affaire que nous avions dénoncée en 2011 déjà. Il est grand temps que l’ancien numéro deux du régime algérien rende des comptes.»

Contacté, le MPC déclare «avoir pris acte de la décision du 30 mai 2018 de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral». Il ajoute: «S’agissant de questions juridiques fondamentales qui pourraient avoir une influence importante sur la politique criminelle de la Suisse, le MPC va analyser en détail les considérants de la décision et se réserve toute suite utile.»

Comme nous l’avions annoncé dans nos colonnes, le procureur fédéral Stefan Waespi, responsable de la décision, a claqué la porte du Ministère public de la Confédération au début de l’année. Ce sera donc Miriam Spittler qui sera chargée de l'affaire. Elle sera rien de moins que la quatrième procureure à reprendre le dossier en l’espace de quatre ans.