«Notre plurilinguisme a fait et fait encore l’histoire de la Suisse. L’administration fédérale est un microcosme de notre pays. […] Mais je ne vous cacherai pas que, en arrivant au Département fédéral des finances, mes priorités visent d’autres objectifs.» Le conseiller fédéral Ueli Maurer a joué franc jeu, lundi soir, à l’occasion de sa première apparition sur la politique des langues. L’UDC s’est exprimé à Berne lors d’un événement organisé par la déléguée fédérale au Plurilinguisme, Nicoletta Mariolini, et les services du parlement, une première sous cette double bannière.

La prestation du nouveau ministre de tutelle de la promotion des langues au sein de l’administration était très attendue, après sa bévue lors de la répartition des départements en décembre dernier. Commentant son choix de reprendre les cordons de la bourse, le Zurichois avait longuement étalé son amour des chiffres. Mais, interrogé ensuite sur son rapport au plurilinguisme, Ueli Maurer n’avait pas compris le sens de la question, posée en français. Il s’était finalement fendu d’une phrase: «Les langues ne sont pas mon fort absolu.»

«Un peu comme le sport»

Il avait peu après dû se rendre compte que la déléguée fédérale au Plurilinguisme, Nicoletta Mariolini, occupait le bureau voisin du sien. La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf l’avait en effet installée symboliquement à côté d’elle, marquant le gain d’autonomie acquis par la déléguée ces dernières années. Sous les coups de butoir du parlement, et avec le regard bienveillant de la Grisonne, le terrain a été déblayé pour passer des principes à l’action en matière de plurilinguisme.

Jusqu’à l’arrivée d’Ueli Maurer. Le ministre UDC sera-t-il un frein à cette dynamique nouvelle? Hier, il a affiché son credo principal: «Une Ueberreglementation (sic) étouffe l’économie mais aussi l’administration.» Mais il a aussi relevé l’importance des principales recommandations faites dans le rapport 2015 sur la politique de plurilinguisme, qui, selon lui «nécessite de l’engagement et de l’endurance, un peu comme le sport».

Concrètement, la déléguée fédérale Nicoletta Mariolini compte bien s’appuyer sur ce rapport pour effectuer une première évaluation qualitative du plurilinguisme au sein de l’administration fédérale. «Nous développons un système d’auto-évaluation qui permettra de saisir une photographie des compétences linguistiques du personnel», explique la Tessinoise. Aujourd’hui, seule la langue maternelle sert de critère à l’élaboration des rapports sur le plurilinguisme au sein de l’administration. A l’avenir, les compétences des employés, notamment des cadres, devraient faire l’objet d’un examen plus approfondi.

Pour quel usage? Expert en politiques publiques et professeur honoraire à l’Université de Lausanne, invité à l’événement d’hier, Peter Knoepfel dresse des pistes offensives. «Il faut à mon avis imaginer des mesures salariales.» Le revenu d’un cadre de l’administration qui ne pratiquerait pas une 2e langue nationale devrait par exemple pouvoir être raboté. Autre idée évoquée hier, celle d’un droit de veto confié à la déléguée fédérale au Plurilinguisme lors du recrutement de personnel. La Suisse pourrait aussi s’inspirer du Canada, dont le commissaire aux Langues officielles, invité d’honneur hier à Berne, est nommé par le parlement et jouit ainsi de compétences étendues.

Aujourd’hui, «le lien est très faible, voire inexistant, entre la politique institutionnelle et substantielle ayant trait aux langues nationales», s’inquiète Peter Knoepfel. Les grands principes en matière de plurilinguisme ne passeraient donc pas la barrière du réel. Le docteur en droit en veut également pour preuve la situation des politiques linguistiques. L’enseignement d’une deuxième langue nationale est remis en question dans différents cantons alémaniques.

Sur ce thème-là, le conseiller fédéral Ueli Maurer restera un allié. Question de cohésion: «Il est essentiel que nos jeunes apprennent les langues nationales le plus vite possible. Le plurilinguisme constitue un véritable ciment.» Et si cela ne suffit pas, jamais avare d’exemples pratiques, le ministre ne rougit pas de citer ses propres expériences à l’armée: «On peut toujours se parler avec les mains et les pieds.»