Publicité

Les ultraconservateurs lancent un journal pour conquérir les campagnes romandes

Fruit de la fusion de la «Citadelle» valaisanne et du «Petit journal» fribourgeois, «Alias» veut imposer la voix de la droite dure en faisant le jeu de Christoph Blocher: 142 000 exemplaires seront distribués dès mardi

Mardi prochain, les campagnes valaisanne, fribourgeoise et genevoise seront inondées par un tous-ménages au ton musclé, distribué à 142 000 exemplaires. Son titre? Alias. Il s'agit d'un troisième numéro exceptionnel du nouveau journal des milieux ultraconservateurs romands, qui espèrent frapper fort à la veille des votations. Ses thèmes de prédilection? Le combat anti-européen, la lutte contre l'immigration, contre l'avortement, contre les homosexuels, contre la pornographie, contre les sectes, contre la drogue, contre le rétrécissement de l'armée et une tête de turc… Adolf Ogi.

Des sympathies pour Le Pen

Le conseiller fédéral de l'Union démocratique du centre (UDC) «ne suit pas une ligne suffisamment conservatrice», estime Eric Bertinat, le rédacteur en chef d'Alias. Aujourd'hui installé dans le canton de Fribourg, Eric Bertinat n'est pas un inconnu dans le canton de Genève où il présida, à la fin des années 80, le mouvement xénophobe Vigilance. Sous son impulsion, le parti amorça un virage vers l'extrême droite et il n'hésitait pas alors à afficher ses sympathies pour le président du Front National français, Jean-Marie Le Pen.

En 1997, l'ex-Vigilant lance une première revue, Le Petit journal, distribué à 400 exemplaires, de tendance «catholique conservateur». Il découvre rapidement que ses sujets favoris recouvrent largement ceux d'un autre bulletin, Citadelle, sis dans le Valais celui-là. Les deux rédactions se rapprochent et décident de fusionner à la fin de l'année dernière pour créer Alias.

Le responsable de Citadelle, Dominique Giroud, un proche du Mouvement chrétien-conservateur valaisan, n'est pas davantage un inconnu. En 1998, ce vigneron-encaveur de Chamoson était à la tête d'un commando qui a placardé des affichettes qui ont choqué tout le canton: sous l'image d'un fœtus sanguinolent figuraient les portraits de trois politiciennes favorables à l'avortement. Une plainte a été déposée.

Un second croisé de ce commando se retrouve chez Alias. Il s'agit de Vincent Borgeat, député suppléant du PDC de Riddes, dont le père était le chauffeur de feu Marcel Lefebvre, l'évêque intégriste catholique – excommunié par Rome – installé au début des années 70 à Ecône. «Il n'y a pas l'ombre d'une soutane dans notre rédaction, corrige aussitôt Eric Bertinat. Nous sommes sur le terrain purement politique, même si notre base commune est le décalogue.»

Politique, Alias l'est sans doute possible. Sa ligne est en grande partie celle de l'Association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN). Eric Bertinat est président de la section fribourgeoise de cet instrument créé par Christoph Blocher. Et deux de ses proches collaborateurs en sont également membre: Blaise Chappaz (Le Temps du 19 février) et René Scheidegger, coordinateur du mouvement en Suisse romande et directeur de la Lettre verte, le bulletin de l'ASIN.

Alias doit-il dès lors être considéré comme un nouveau moyen imaginé par le tribun populiste zurichois pour enfin s'implanter en Suisse romande? Eric Bertinat dément catégoriquement: «Nous n'avons aucun lien avec l'UDC, à quelque niveau que ce soit. Ce n'est pas du tout une démarche blochérienne, mais purement journalistique pour défendre la presse d'opinion face à la pensée unique dominante.» Réflexion faite, le rédacteur en chef admet pourtant: «Peut-être bien que tôt ou tard nous pourrons travailler ensemble. Nos chemins sont parallèles. Pourquoi pas dans le futur?»

Le secrétaire général de l'UDC nationale, le Romand Jean-Blaise Defago, dit ne rien connaître d'Alias, ni de ses rédacteurs. En matière éditoriale, il parle d'un autre projet qui lui trotte dans la tête: faire revivre le Pays romand, la première revue romande de l'UDC lancée en 1998 et qui a aussitôt disparu faute d'abonnés et d'annonceurs. «Ce serait un instrument très intéressant. Il faut encore que j'en parle au Comité directeur, voir s'il y a un budget, savoir si l'on veut forcer la Suisse romande. Si Alias est déjà lié à l'ASIN, c'est une autre structure, cela ne m'intéresse pas.»

Des ambitions

Le tous-ménages d'Alias coûtera entre 40 000 et 50 000 francs. Eric Bertinat compte sur les ventes, les abonnements ou encore de généreux donateurs. Les deux premiers numéros ont été distribués à 5000 et 7000 exemplaires, sur la base d'un fichier de 6000 adresses. Un peu plus de 200 personnes se sont déjà abonnées (78 francs par année). Le but est de rassembler 1000 à 1500 abonnés d'ici au mois de juin. Et si le «coup de poker» de mardi fonctionne, Alias promet de recommencer sur une plus grande envergure pour appeler à voter contre les bilatérales. Les villes et le canton de Vaud seraient alors également visés. Et Neuchâtel et le Jura? «C'est beaucoup plus mystérieux pour nous. Nous n'avons personne pour l'instant.»